Existe-t-il une « histoire officielle » ?

L’Histoire officielle est dans toutes les bouches, dès qu’il s’agit de critiquer une vision historique jugée dominante. C’est une telle évidence que personne ne la définit réellement, ni n’énonce précisément ses auteurs, qui varient selon qui en parle. « L’État » ; « l’école » ; « l’oligarchie capitaliste » ; « les élites culturellement marxistes » (oui, rigolez pas, certains y croient vraiment) ou, bien entendu, les membres du « Complot™  » (qu’il soit Juif, Franc-maçon, Illuminati, Euro-atlantiste, Jésuite, ou un mélange d’un peu tout ça). Pour une Histoire officielle, ça en fait quand même beaucoup de versions contradictoires : colonialiste et raciste selon les uns, elle serait au contraire « ethno-masochiste » et « tiers-mondiste » selon les autres (quand ils ne parlent pas carrément d’ « islamo-gauchisme »). Les uns vont critiquer une école machine créatrice de roman national, tandis que les tenants de ce dernier reprochent au contraire aux programmes de ne plus apprendre aux enfants les figures et étapes centrales de ce récit.

Alors, serait-on tenté de dire, décidez-vous ! Dites-nous enfin quelle est cette Histoire officielle que vous pourfendez. Et, à vrai dire, à quoi servirait-elle ? Mais d’abord, il faut peut-être se poser une question plus simple : quels sont les lieux possibles de création d’une histoire « officielle » ?

Les quatre origines

Je distingue personnellement quatre types d’histoires officielles possibles dans ce qui est généralement dénoncé. Comme on le verra, ces types sont en réalité souvent opposés, et incompatibles. Le premier, le plus évident, est l’histoire récupérée par la classe politique : celle-ci s’étend des noms de rues et des commémorations officielles aux conférences de François Asselineau, en passant par les discours politiques et autres mesures telles que la lecture de la lettre de Guy Môquet à l’école.

Deuxième pôle : l’université. Lorsque j’ai moi-même été accusé de contribuer à l’histoire officielle, c’est à ce titre : payé par l’université, je ne pouvais faire autrement ! Seulement, plusieurs problèmes se posent. D’une part, l’université n’est pas un tout uniforme, et les chercheurs sont en débat constants ; d’autre part, ils sont souvent fortement opposés à l’histoire émanant des politiciens, qu’ils dénoncent vertement. Déjà deux histoires officielles possibles, toutes deux contradictoires.

Qui se cache derrière l’Histoire officielle ? Pas mal de suspects possibles…

Troisième pôle, l’école. Celle-ci fait déjà un « suspect » plus intéressant car elle a le pouvoir théorique de formater les esprits en masse. Seulement, là aussi, ceux qui la critiquent peinent à se mettre d’accord sur son discours officiel, diamétralement opposé selon qui s’y oppose. Plus encore, les enseignants ont, eux aussi, la réputation de s’opposer aux réformes tentées par l’État et, de même, il existe un réel fossé entre l’histoire enseignée au primaire et secondaire et celle enseignée en fac. Troisième histoire officielle, troisième contradiction.

Enfin, vient la dernière, la plus voyante : l’histoire médiatique. Celle de Franck Ferrand, Stéphane Bern, Lorant Deutsch. Est-elle officielle ? Les émissions du service public pourraient le donner à penser, surtout au vu des liens d’un Bern avec Macron, dont il a soutenu la campagne. Reste pourtant que ces liens ne sont ni plus ni moins étroits que ceux qui unissent généralement les médias avec la classe politique. Des gens qui, comment l’a expliqué l’excellent et regretté Michel Naudy dans Les Nouveaux chiens de garde, pensent pareil car ils viennent du même milieu. Mais cette histoire-là est aussi brocardée par les historiens universitaires, par bien des enseignants, et par une partie de la classe politique. On le voit donc ; nos quatre types d’histoire officielle sont déjà grossièrement incompatibles entre eux. Cela part mal ; mais qu’en est-il quand on les analyse individuellement ?

 

L’histoire des politiciens : imposer sa marque

L’histoire de nos hommes et femmes politiques a un objectif : créer un fonds commun de références pour soutenir leurs programmes et campagnes. On l’a bien vu à travers les récupérations de Nicolas Sarkozy, allant chercher jusqu’à Jaurès et Blum comme caution à ses idées en 2007 ; mais l’exemple est valable pour bien d’autres. Dans le discours politique, il s’agit généralement de cautionner un programme par le passé : « on a déjà fait comme ça, donc c’est possible » ; « la France est le pays de… donc il faut être fidèle à notre nature » ou, au contraire, « Depuis … nous subissons …, il est temps d’en finir. »

Ceci est une récupération très sale. « Rappelons la parfaite légalité de ce genre de procédé », comme dirait l’autre.

Mais ce n’est qu’une part de cette œuvre politique en matière d’histoire. On retrouve également les lois mémorielles, abouties ou avortées (pensons à celle pour l’enseignement du « rôle positif » de la colonisation ou la reconnaissance du « génocide vendéen ») qui font hurler les historiens dont elles entravent le rôle ; mais surtout, plus largement, les commémorations officielles qui sont autant de gestes politiques à l’hypocrisie plus ou moins prononcée car, bien souvent, il s’agit de reconnaître et de dénoncer… sans pour autant compenser.

Et il y a, enfin, l’occupation de l’espace public, par les statues et noms de rue, qui fait grand bruit en ce moment. Un point souvent négligé dans ces polémiques est la nature beaucoup plus locale de ces enjeux, car ces statues, ces noms de rues, sont souvent le fait non pas d’une élite nationale, mais d’élites locales, et font ressortir bien des divergences politiques qui sont illustrés par certaines curiosités. Telle localité qui se félicite d’être la première à avoir une « place Charles Pasqua » envoie sans aucun doute un message précis ; telle autre, dont les grandes artères ont des noms de socialistes révolutionnaires illustre au contraire la domination (passée ou présente) de l’extrême-gauche sur la ville. De fait, il ne s’agit pas seulement d’un combat contre une histoire officielle qui transparaîtrait à travers ces lieux et hommages, mais aussi d’affrontements entre plusieurs histoires officielles, incarnées par des tendances politiques, des héritages revendiqués ou rejetés, mais toujours réduits à une équation manichéenne : héros ou repousseoir. Mais, finalement, ces histoires officielles-là ont-elles un réel impact ? Il n’est pas certain que les survivances des « places royales » entraînent un regain de monarchisme, pas plus que la présence d’une rue « Jean Jaurès » préserve du vote Front National.

Finalement, par les débats et contestations, souvent très fortes, qu’elle suscite, cette histoire des hommes politiques est probablement un danger surestimé, car trop évident et déjà très discuté quand le caractère même de l’Histoire officielle est qu’on ne la débat pas.

 

L’histoire universitaire : débats en cercles clos ?

De loin, l’université peut sembler être une fabrique d’histoire officielle : des chercheurs, payés par l’État, qui écrivent l’Histoire… S’ils sont payés, c’est bien qu’ils sont à sa solde ! Seulement, on se rend compte assez vite que ces chercheurs sont généralement les premiers à être hostiles à des gouvernements qui le leur rendent bien en détruisant peu à peu l’université française. Bien des universitaires se sont engagés contre le projet de « Maison de l’Histoire de France » légèrement orienté que souhaitait Nicolas Sarkozy. Bon nombre, également, critiquent de façon plus générale les usages politiques de leur discipline, par exemple à travers le CVUH.

Mais surtout, l’histoire universitaire n’est pas une masse uniforme ; c’est même tout le contraire. Comme toute science, elle fait l’objet de débats et combats, de divisions entre différentes écoles et approches. C’est tout le principe du jeu scientifique. On retrouve par exemple autour de la Révolution française le pôle furétien, plutôt bien à droite, autour de l’EHESS, tandis que des chercheurs de différentes universités, notamment Paris I, tendent à se retrouver autour d’un héritage bien plus ancré à gauche, celui de Soboul, Lefèbvre, Mathiez… Et que d’autres, comme Jean-Clément Martin, voguent au milieu. Difficile de dire, dans ce cas-là, qui écrit « l’Histoire officielle » car les trois portent sans nul doute des messages différents, même s’ils se rejoignent sur bien des points.

Le gouffre est réel entre le Robespierre des universitaires (même de droite, dans une certaine mesure) et celui des médias. Le problème ne vient donc pas tant de la création du savoir, que de sa diffusion.

Finalement, les historiens universitaires jouissent d’une claire liberté dans leurs travaux, liberté qui risque cependant d’être de plus en plus précaire, tant leur recherche est aliénée par la quête de financements de moins en moins publics et par l’obsession de l’État pour la paperasse. Mais la recherche n’est pas censurée, bien au contraire : ce serait le meilleur moyen de pousser les chercheurs à foncer vers les sujets qui fâchent ! En réalité, quel besoin de censurer une production historique à laquelle peu de gens ont accès ?

C’est sans nul doute là le principal problème de cette histoire universitaire : tout le monde la voit comme une terrible histoire officielle produite dans des hauts cercles, mais, en réalité, peu la lisent et la connaissent. Ce qui rend sa critique beaucoup plus facile de la part de tous les charlatans qu’elle a rejetés, à l’instar par exemple d’un Franck Ferrand dénonçant les « mandarins ».

 

L’histoire à l’école : la connaît-on vraiment ?

On a tous un avis, souvent négatif, sur l’histoire servie à l’école. On lui reproche de ne pas avoir insisté sur tel ou tel point qui nous est cher, ou d’avoir sombré dans des biais plus ou moins nocifs. Le souci, c’est que selon qui la dénonce, les critiques peuvent être profondément contradictoires. Histoire « récit national » aux yeux de ceux qui imaginent que l’école n’a pas évolué depuis la IIIe République ; l’histoire scolaire est au contraire dénoncée par les conservateurs comme trop ouverte sur le monde (pensez ! On étudie la naissance de l’Islam, les empires africains et on ose « se repentir » sur la colonisation) qui fait oublier les grands héros de notre France à nous.

La vérité se trouve probablement au milieu, l’histoire scolaire se trouvant certainement « le cul entre deux chaises », entre le désir d’ouvrir sur l’extérieur et, malgré tout, celui de créer un sentiment d’unité intérieure. Mais est-ce pour autant une histoire officielle uniforme, et venue d’en haut ? Souvent, on critique l’histoire scolaire par trois portes d’entrée : notre vécu, les manuels, et les programmes. Mais ces trois voies d’accès ne sont pas fiables.

Les manuels sont au cœur du débat, certains ayant la nostalgie du Lavisse d’antan, tandis que d’autres dénoncent au contraire une histoire scolaire qui n’aurait pas évolué depuis cette époque. On oublie souvent, cependant, que le manuel est et a toujours été un outil, et qu’il ne nous informe pas sur les usages qui en sont faits ensuite.

Notre vécu, de parent comme d’élève, est biaisé car, en réalité, qui peut donner une recension fidèle de tous les cours qui lui ont été donnés ? Qui n’a jamais été inattentif, ou même rebelle contre ces profs qui, par leur nature, par l’obligation qui nous les impose, sont devenus des ennemis ? En tout cas, notre ressenti n’est pas un marqueur fiable du sens de la fabrique de l’histoire scolaire. Les manuels, alors ? Ils diffèrent selon les éditeurs mais, surtout, selon l’usage qu’en fera le professeur : rares sont en effet ceux qui les suivent de près, la plupart n’y voyant qu’une source de documents propre à illustrer un cours bien plus personnel. De même d’ailleurs, pour les programmes, dont on parle beaucoup sans saisir la différence entre ce qu’ils disent, et la marge de manœuvre des enseignants qui peuvent, ou non, choisir de prendre une certaine distance. Bref, on l’oublie trop souvent, mais l’histoire scolaire dépend avant tout des enseignants, de leur parcours, de leur engagement, et ne peut être vue comme un tout uniforme.

Ceci étant, il ne faut pas oublier le principal et inévitable défaut de cette histoire, celui qui fait que mon public s’étonne à chaque vidéo des différences avec ce qu’il a « appris à l’école » : l’école est là pour initier et, pour cela, elle simplifie parfois à l’extrême. Comment faire autrement, au vu des circonstances dans lesquelles se fait l’enseignement ? Sans nul doute serait-il plus utile d’apprendre à réfléchir autour de l’histoire, de comprendre comment elle se fabrique, plutôt que de vouloir faire ingurgiter des siècles de dates, de faits, et de personnages qui, pour la plupart, seront oubliés une fois le contrôle passé. Mais, sur cette question, je ne peux que laisser la parole à ceux qui consacrent leur temps à faire évoluer cet enseignement.

Reste, en tout cas, que si l’école est bien imparfaite en matière d’enseignement de l’histoire, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain : bien des enseignants se démènent pour faire évoluer les choses dans le bon sens et, de surcroît, les programmes changeant à chaque gouvernement, il peut être difficile d’y voir une histoire officielle bien stable, même en supposant que tous les professeurs soient aux ordres, ce qui est loin d’être le cas, d’où le mépris dont ils sont souvent la cible de la part de nos politiciens.

 

L’histoire médiatique : la voix de l’État ?

Finalement, c’est à la télévision que l’on retrouve ce qui peut apparaître le plus comme une histoire « officielle », car uniforme, principalement parce que ceux qui se consacrent à sa diffusion sont tous proches les uns des autres : Stéphane Bern, Lorant Deutsch, Franck Ferrand, Patrick Buisson ; rejoints par Dimitri Casali et Jean Sévilia entre autres dans la presse et les rayons des librairies… Tous ont la nostalgie d’une histoire traditionaliste et cocardière, d’une époque où la France n’avait pas « perdu quelque chose en perdant son roi ». Tous clament leur amour des grands hommes et des grands faits…

Une certaine vision de l’Enfer pour tout historien.

Cependant, on notera justement qu’ils sont, pour cela, brocardés par les trois autres domaines cités dans cet article. Les universitaires, bien entendu, démontent leur contenu et sont en retour critiqués comme étant des idéologues gauchistes. Mais l’école est également attaquée (et, paradoxalement, approchée) par un Lorant Deutsch ou un Casali qui se lamentent sur un enseignement qui n’est plus ce qu’il devrait être. Ce n’est pas pour rien que Casali a récemment réédité le manuel d’Ernest Lavisse… Quant aux politiciens, ils les adulent et les détestent selon leur agenda du moment.

Peut-on expliquer leur omniprésence dans les médias par la volonté politique d’imposer une histoire officielle conservatrice (pour ne pas dire réactionnaire) ? Il faut surtout y voir la proximité naturelle entre les milieux politiques et médiatiques, composés de gens aux mêmes origines sociales, aux mêmes affinités politiques et qui, de fait, produisent des contenus idéologiques proches. Reste que, comparée aux autres formes d’histoire officielle possible, celle-ci est probablement la plus uniforme, donc la plus « officielle ».

 

A qui sert « l’Histoire officielle™ » ?

On l’aura compris, il n’y a pas une Histoire officielle, uniforme, concertée, organisée à des fins de propagande. Et pourtant, cette histoire, impossible à définir, est dans bien des bouches. Car la critiquer, c’est pouvoir se placer en opposition, pouvoir proposer, à peu de frais, quelque chose qui paraisse profondément nouveau et révolutionnaire. On ne s’étonnera donc pas que les conspirationnistes de tout bord s’insurgent en permanence contre une histoire officielle qu’ils pointent du doigt sans la définir vaguement. C’est avant tout un moyen de dire « moi, je ne suis pas un mouton manipulé ».

D’autres, sans entrer de plein pied dans le conspirationnisme, usent cependant de ce procédé qui devient alors un argument de l’ « homme de paille » : j’en ai notamment parlé dans le cas de Silence aux pauvres, de Guillemin. Celui-ci s’attaque à une « histoire sérieuse » qu’il ne définit jamais précisément, mais qui, dans son texte, se résume à des citations de Michelet (mort plus d’un siècle avant ses écrits), de protagonistes de l’époque, et d’essayistes d’extrême droite toujours regardés avec suspicion par l’université. Bref, son « histoire sérieuse » est tout sauf sérieuse, et il évite de se frotter aux universitaires, qu’il s’y oppose ou que ces derniers aillent dans son sens (mais avec plus de nuances : eux sont historiens). En créant ainsi cette sorte d’épouvantail, il donne l’impression d’avoir démoli une « histoire officielle » qui n’a en réalité jamais existé et, surtout, laisse penser qu’il est le seul à le faire. Pourtant, lire des ouvrages universitaires de la même époque montre que, de façon assez logique, cette histoire-là n’a rien à voir avec celle que dénonce Guillemin.

Technique dont Guillemin use et abuse, la création d’une histoire « sérieuse » sur mesure qu’il peut démolir à loisir lui permet de se démarquer.

Peut-être est-ce là, l’intérêt principal de l’histoire « officielle » : se placer en chevalier blanc, seul contre tous. Cela permet aussi de sortir du terrain du débat : c’est une constante chez Guillemin et ses défenseurs, chez Annie Lacroix-Riz, chez Franck Ferrand, chez Lorant Deutsch : quiconque critique leur travail sur le fond est avant tout un ennemi politique, un « sorbonnard », un « mandarin », un défenseur des « gens de bien ». Il n’y a donc pas lieu d’argumenter sur le fond, et il devient possible de s’en sortir à faible coût : le public suivra, de toute manière. Quelles que soient les intentions de départ, parfois très bonnes, parfois plus mauvaises, cette méthode est aussi malhonnête que dangereuse.

 

Pas d’histoire officielle, mais des histoires biaisées

Il n’y a pas une histoire officielle, donc il n’y a pas d’histoire officielle qui, par définition, doit être unique. Toutes les formes d’histoires qui ont été citées ci-dessus, des plus fiables aux plus malhonnêtes, ont toutefois en commun d’être biaisées, par de nombreux facteurs. Identité de leurs auteurs, point de vue, structures difficiles à dépasser. Il n’y a pas d’histoire officielle cherchant à faire disparaître les femmes ; il y a en revanche des structures qui, même si elles évoluent dans le bon sens, ont donné la prédominance de l’écriture de l’histoire à des hommes, ce qui, par effet de logique, a conduit à sous-estimer l’écriture de celle des femmes.

Pour rappel : aucune histoire n’est neutre.

 

Il n’y a pas d’histoire officielle écrite par les politiciens, mais il y a un passé qui fait qu’au XIXe siècle, les historiens étaient aussi politiciens, d’Adolphe Thiers à Jaurès en passant par Louis Blanc et François Guizot ; et que, de fait, notre travail en garde des traces, même si celles-ci sont compensées par de nouvelles approches. L’Histoire, les histoires, sont biaisées ; par l’angle duquel on parle, par qui les écrit, par le pays où on les lit, par le cadre qu’on leur donne.

Or, une histoire sans biais est impossible : tout au plus peut-on remplacer un bais par un autre. Mais l’important est d’en être conscient, pour questionner ces biais. Remplacer une histoire biaisée par son miroir, remplacer les légendes noires par des légendes dorées et inversement, n’est pas une solution, car elle continuera à fournir au public une vision simpliste du monde. Et cette vision simpliste ne le fera pas sortir de ses prisons mentales, mais simplement changer de cellule.

Il est impossible d’écrire une histoire qui n’ait pas de faille, mais il est possible de prendre garde à ces failles, et d’inciter chacun à les compenser, et à réfléchir à son tour à ses propres angles morts ; bref, de poser les questions qui (nous) font chier. C’est à ce prix qu’on évolue, à ce prix qu’on sort du simplisme pour réellement entrer dans la recherche de connaissance. Et c’est pour cela qu’au lieu de dénoncer une histoire officielle qu’on ne définira jamais vraiment, il vaut mieux réfléchir aux limites de l’histoire qu’on nous raconte, mais aussi à celles de l’histoire que l’on voudrait entendre.

 

Pour aller plus loin

Difficile de donner des orientations bibliographiques sur un sujet aussi large qui est aussi le fruit de pas mal de réflexions personnelles. La question de l’histoire politique a déjà été abordée dans plusieurs articles et vidéos, et des ouvrages de référence y sont déjà indiqués. Celle de l’histoire universitaire est plus complexe car le traitement que j’en fais est aussi le fruit de mon expérience personnelle ; lire et écouter des universitaires et, surtout, étudier l’historiographie d’une période est un bon moyen de prendre conscience des débats, disputes et évolutions qui font que ce milieu ne peut être accusé d’écrire une histoire officielle. Sur ces points, les sections « Atelier de l’historien » des volumes de l’Histoire de France des éditions Belin peuvent fournir une bonne introduction si vous vous intéressez à comment s’écrit l’Histoire.

Sur l’histoire scolaire, je renvoie à La Fabrique Scolaire de l’Histoire II, récemment publié sous la direction de Laurence de Cock et, de façon générale, je renvoie à ses travaux pour comprendre les enjeux de cette question. Enfin, la question de l’histoire médiatique a été amplement abordée ici, je renvoie notamment aux Historiens de Garde (Blanc, Chéry, Naudin) déjà maintes fois cité sur ce site.

Concernant Guillemin et sa technique de l’homme de paille, je l’ai analysée en détail dans un essai d’analyse de Silence aux pauvres ! il y a quelques semaines. Cette grave faille de son travail me semble essentielle pour comprendre sa récupération éhontée par les complotistes et l’extrême droite.

14 commentaires sur “Existe-t-il une « histoire officielle » ?

Ajouter un commentaire

  1. Salut Histony,

    Merci pour cette vidéo toujours très didactique et qui donne à chaque envie de creuser le sujet !

    J’écris parce que j’ai été surpris par ton commentaire « Finalement, les historiens universitaires jouissent d’une claire liberté dans leurs travaux ».
    J’ai écouté une conférence d’Annie-Lacroix Riz qui expliquait précisément le contraire. Alors, certes ses travaux sont assez iconoclastes et son positionnement communiste affirmé, mais tout de même elle explique clairement que les historiens ne peuvent pas aborder tous les sujets (en particulier si on compare à certains travaux étrangers).
    Je te donne le lien de la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=LiTT11Vm_TA
    Et son bouquin : L’histoire contemporaine toujours sous influence.

    J’en profite aussi pour dire que ton évaluation de l’histoire proposée par l’éducation nationale m’a surpris. C’est vrai que les profs ont des marges de manoeuvre et que certains sont hors du commun, mais ils ne sont que l’exception (dont on reste imprégnée toute notre vie d’où un éventuel biais de jugement). Les programmes sont après tout rédigés par quelques personnes et ne sont pas le fruit d’une procédure franchement collective.
    A mon sens, on a tous l’impression d’une histoire globalement qui va dans le même sens (les grandes personnalités, les grands événements, dépolitisation des conflits, pas d’esprit critique demandé, certaines dates complètement oubliées…) et les particularités locales d’un prof n’y changent pas grand-chose.
    Qu’en penses-tu ?

    Encore merci à toi pour ton précieux travail :-))

    Tim-X

    J’aime

    1. Annie Lacroix-Riz, pour commencer, met parfois le doigt sur des points intéressants concernant l’indépendance : je crois effectivement que la recherche de financement va, à terme, nuire à notre indépendance. Maintenant, il faut aussi comprendre que ses thèses sont non seulement iconoclastes, mais parfois totalement bancales. Son complot synarchique, notamment, ne tient pas sur grand chose, et bien des historiens ont critiqué son approche pour le moins biaisée des sources : elle prend ce qui l’arrange, sans aucun recul, et oublie le reste. Et elle voit une forme de censure politique dans toute critique. Tout ce que je reproche également à Guillemin. Pas pour rien que, comme Sigaut dans un autre genre, elle flirte pas mal avec des milieux conspis et douteux… Dommage, car parfois, elle pourrait dénicher des trucs intéressants, si elle ne savait pas à l’avance ce qu’elle veut leur faire dire.

      De mon expérience propre, je n’ai jamais été limité ou censuré dans mes travaux, y compris quand ma thèse sur les compagnies transatlantiques se permettait quelques petits plaidoyers pro-nationalisations et autres trucs pas très « économie de marché friendly ». Et la totalité des historiens que je cite et qui étayent mes propos viennent de l’université. Quand on voit le nombre de marxistes qui ont écrit sur la Révolution française et ont tenu des très hauts postes, franchement, crier à la censure… Non. En fait, le système est même un peu trop ouvert parfois, côté dérives : j’ai souvenir d’une thèse négationniste qui avait réussi à passer entre les mailles du filet. (cf ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Roques#La_th.C3.A8se_de_Nantes_et_son_annulation). Bref, souvent derrière cette accusation de « on me censure », il y a surtout du « on a relevé les erreurs et approximations de mon travail », et c’est particulièrement vrai dans le cas d’Annie Lacroix-Riz.

      Concernant l’histoire scolaire ; on est bien d’accord qu’elle a ce biais. Mais est-ce une volonté de propagande ? Non. D’une part, la mise en avant des grandes figures est très relativisée : au contraire, à droite, on reproche de pas assez le faire. Même l’événementiel recule : des événements fétiches du roman national comme la bataille de Bouvines ne sont plus traités de la même façon qu’il y a un siècle (voire plus du tout traités) et, à l’inverse, il faut je pense saluer la volonté d’élargir le champ aux autres continents, d’initier à l’analyse de documents… Après, on a là un problème qui tient aux objectifs : l’école a pour fonction première de délivrer des notes et diplômes, ce qui est à mon sens un drame. Or, il est impossible d’évaluer de façon juste l’esprit critique et le raisonnement. D’où la frilosité des exercices. Ceci étant dit, pour suivre pas mal d’enseignants et avoir vu d’assez près comment on les forme, la volonté d’exercice de l’esprit critique est là ; les moyens, beaucoup moins. En somme, j’ai tendance à dire que la qualité de l’histoire scolaire actuellement tient surtout au manque de moyens et à leur incohérence avec les objectifs. Il serait possible de faire un enseignement totalement différent, en cherchant à donner des clés plutôt qu’une vision globale et par définition incomplète.

      Mais pour avoir tenté de me frotter à l’exercice de l’enseignement, pour savoir à quel point il requiert de simplifier, même pour un public déjà bien cultivé, je ne jetterai pas violemment la pierre aux enseignements. Déjà beaucoup plus à la machine qui les broie, et qu’ils sont nombreux à contester.

      J’aime

      1. Merci pour ta réponse Histony.

        Je crois aussi que l’histoire de la synarchie qu’ALR défend bec et ongles n’aide pas à la rendre crédible. Je n’en sais pas assez pour trancher, son argument fort est qu’elle utilise des archives qui ne sont pas françaises.

        Mais au fond peu importe, l’idée était de discuter sur la liberté donnée aux historiens. Tu penses le contraire, et c’est ça qui est intéressant. On a l’impression que vous ne faites pas le même métier ! Peut-être est-ce ALR qui a le mot « censure » un peu rapide comme tu dis. Sigaut dit la même chose d’ailleurs…

        Concernant l’histoire scolaire, tu me dis que ça ne relève pas d’une volonté de propagande. Sans pouvoir le prouver, je suis spontanément dubitatif. D’où nous vient alors cette idée si commune ? (Bien que l’opinion de la majorité ne soit pas nécessairement la bonne, on est bien d’accord).

        L’histoire est un objet politique très puissant, la preuve avec Asselineau, Sarkozy, Mélenchon et autres. J’ai du mal à penser que le pouvoir se contente de laisser les profs se démerder.

        Qu’en est-il dans les pays étrangers, tu le sais ? Ces débats sont-ils aussi vifs que chez nous ?

        Tu dis « il serait possible de faire un enseignement totalement différent, en cherchant à donner des clés plutôt qu’une vision globale ». Mais ce n’est pas ce choix (de bon sens) qui est fait. Pourquoi ? Et qui en décide ?
        Si le gouvernement donne trop peu de moyens aux profs, est-ce uniquement par souci budgétaire comme on se plaît à nous l’expliquer depuis que la « crise » a commencé (donc depuis toujours j’ai envie de dire !) ? Comme quand on veut privatiser une entreprise nationale, on décourage les gens, on leur retire le sens de ce qu’ils font, on privatise tout ce qui n’est pas coeur de métier, on ne donne pas les moyens et petit à petit on explique que la privatisation est la solution.
        Ca me semble une autre façon de torpiller l’enseignement de l’histoire. Faute de l’orienter dans le sens que le pouvoir souhaite, il préfère que rien ne ressorte de significatif. Comme dans les pays au sein desquels on ne parvient pas à même un chef d’Etat godillot, on préfère alors y semer le chaos.

        J’aime

      2. Vous semblez ne pas savoir ce qu’est une idéologie dominante, et vous incapable de faire la différence entre sa diffusion « naturelle », et sa diffusion accentué pour des raisons géostratégiques…. C’est pourtant évident la politique intérieur et la politique extérieurs sont liés. Certains choix idéologiques sont motivés par des problématiques matérielles. Pas besoin d’aller d’accuser les gens de théoricien du complot pour ce genre d’évidence !

        J’aime

  2. J’aime beaucoup tes vidéos en général, mais là je trouve que tu es complétement à côté de la plaque et je me demande même si tu l’as fait sciemment ou si tu es sincère, ce qui serait encore plus inquiétant… Tu te laisse piéger – volontairement ? – par le mot officiel, mais bien sûr qu’il existe un imaginaire historique collectif, construit par différents canaux (l’école, les médias etc.) : qu’on l’appelle histoire officielle, histoire sérieuse ou autre n’y change rien. Comment as-tu pu te laisser piéger par une étiquette verbale ?
    Par exemple, que tu le veuilles ou non, quand on évoque Robespierre, on pense immédiatement à sa légende noire : on pense guillotines, sang qui coule, perruques poudrées, et lunettes vertes… C’est ça l’histoire dite « officielle », qui n’a bien sûr rien d’officiel : ça n’est qu’une appellation commode, mais cette vision historique existe bien !

    J’aime

    1. Sauf que cette vision là, aucun historien de métier ne la diffusera (même des gens de droite comme Gueniffey seront un poil plus nuancés là-dessus). Donc, je maintiens totalement qu’il n’y a pas volonté de formater « une » histoire. Du reste, cette vision de Robespierre, par exemple, va aussi être critiquée par le monde politique lui-même ; il n’y aura pas une totale unanimité sur le sujet. Donc je maintiens que quiconque crie à la censure dès qu’on nuance son propos, et que quiconque se dit muselé par l’histoire officielle, est avant tout malhonnête.

      Si la légende noire subsiste, c’est avant tout parce que ceux qui la démontent pour le grand public la remplacent par une légende dorée tout aussi outrancière au lieu de tenter de faire émerger les travaux plus nuancés qui son majoritaires dans l’historiographie depuis bien longtemps… La société des études robespierristes a un siècle, et elle détient depuis tout ce temps la plus grosse revue universitaire sur la Révolution et la plus grosse chaire d’enseignement sur le sujet. Comme moteur de diffusion de la légende noire, on a vu mieux !

      Je ne nie pas que cette vision historique n’existe pas ; c’est bien pour ça que je parle de l’impact fort de l’histoire médiatique. Je nie qu’elle résulte d’une initiative concertée pour diffuser une version. Si cette version subsiste, c’est avant tout parce qu’elle s’intègre bien à un fonds culturel commun.

      J’aime

      1. Nous sommes d’accord ! Il y a un imaginaire collectif qui n’a pas été formaté, qui n’est pas le fruit d’un projet, mais qui existe néanmoins et qu’on appelle par commodité histoire officielle. Je crois que c’est à ça que pensait Guillemin quand il l’évoquait…

        J’aime

      2. Oh, Guillemin est au contraire très clair sur ce qu’il évoque comme « histoire sérieuse » ; en particulier dans « Silence aux pauvres » que j’ai décortiqué : c’est vraiment une envie de créer une histoire « officielle » qu’il puisse démolir facilement pour se placer en seul défenseur de La Vérité. Et c’est comme ça que le comprennent encore aujourd’hui ses acharnés pour qui quiconque critique Guillemin est forcément à la solde des puissants…

        J’aime

  3. Bonjour Histony.

    Ca fait un moment que je voulais réagir à certaines de tes vidéos. Je voulais en particulier te dire que je trouvais tes vidéos sur la Révolution trop courtes…

    Mais là, c’est de Guillemin que je voudrais parler.

    Franchement, je ne comprends pas cet acharnement sur Guillemin qui, contrairement à Bern, Ferrand, Deutsch ou Zemmour, est mort depuis 25 ans et ne peut plus se défendre.

    Je précise que je ne suis d’aucune chapelle et que, comme toi, j’abhorre les théories complotistes en tous genres. Je précise aussi que je n’ai aucune formation historique mais que je me suis toujours interessé à l’histoire – enfin, plus exactement à certaines périodes (3ème République, Affaire Dreyfus, Révolution française (surtout la période 92-94), empire romain). Pour ce qui est de mes « relations » avec Guillemin, cela fait 2 ou 3 ans que j’écoute ses conférences. J’avais lu son bouquin sur Robespierre il y a longtemps.

    Bien sûr, Guillemin, il faut en prendre et en laisser. Il y a plein de raccourcis, d’abus de citations (parfois déformées), d’interprétations discutables, d’hypothèses érigées en vérités et, tout simplement, d’erreurs et il faut les dénoncer. De même, le très brillant cotoie parfois le filandreux (la fin de la dernière conférence sur Jeanne d’Arc, certains passages de ses conférences sur Napoléon et sur Tolstoï, ce qu’il dit de Pierre Laval). Mais il est parfois étonnamment juste – cf. sa série sur Pétain où il explique par exemple, 35 ans avant que nous en ayons la confirmation par le document, que c’est Pétain qui a été le plus sévère dans la première rédaction du statut des juifs en 1940.

    Guillemin conférencier assume ne pas être neutre. Pour autant, à mon sens, il ne se pose pas en juge ; je dirais plutôt qu’il est tour à tour avocat (de Robespierre, de la Commune etc.) et procureur (de Danton, de Napoléon III, de Bazaine, de Pétain, de Napoléon etc.). J’irais même jusqu’à dire qu’il a ses chouchous (Rousseau, Hugo, Lamartine) et ses têtes de turc (Voltaire, Constant, la Banque de France, George Sand…).

    J’en profite ici pour exprimer un point de désaccord avec toi. Tu expliques qu’en histoire, il n’y a pas de bons et pas de méchants. Tu perçois toi-même la limite d’une telle pensée en ajoutant que l’on peut difficilement mettre les nazis et leurs victimes dans le même panier… Et bien oui, justement. La réalité, c’est qu’il y a toujours eu des bons et des méchants et le nier, c’est … anti-historique. Certes, cela ne doit pas être la seule grille de lecture d’un épisode de l’Histoire mais c’est ainsi : il y a eu, il y a et il y aura toujours des bons et des méchants – et aussi, bien sûr beaucoup de gens qui ne sont ni l’un ni l’autre.

    Alors, venons-en à cette « histoire officielle » à laquelle il fait si souvent référence. Après y avoir mûrement réfléchi, je pense que l’histoire officielle dans l’esprit de Guillemin, c’est l’histoire telle qu’on lui a apprise au cours de ses études, notamment à l’Ecole Normale Supérieure. C’est pour cela qu’il fait si souvent référence à Michelet, à Bainville et à Madelin. Se penchant tardivement sur l’Histoire via Lamartine, il s’est rendu compte que le récit historique qui lui avait été fait de certains événements – l’histoire pour lui officielle, donc – ne correspondait pas toujours – ou, disons, pas toujours entièrement – à la réalité historique. D’ailleurs, si tu as écouté ses conférences ou si tu as lu son livre sur Robespierre, tu sais qu’il n’a pas lu que Michelet, Bainville et Madelin et qu’il a des références plus récentes que Chateaubriand ou Mme de Staël. Il se réfère à Mathiez, à Soboul, à Régine Pernoud (qu’il dit être la meilleure connaisseuse de Jeanne d’Arc), à H. Lefebvre, à J. Rougerie, à J. Massin, à M. Gallo, à J. Tulard, bref à des auteurs récents à son époque.
    Toutefois, je suis entièrement d’accord avec toi que cette façon de procéder en disant « Attention, moi, je détiens la vérité et je vais vous la dire » est assez fatigante mais je pense qu’il veut mettre un point d’honneur à lutter contre des idées répandues encore aujourd’hui (Robespierre et la
    Commune ensevelis sous les calomnies, Bonaparte uniquement vu à travers la gloire etc). Il faut remettre Guillemin dans son contexte, dans son époque, dans son temps. C’est ce que tu ne fais pas assez à mon sens et je vais le développer dans le paragraphe suivant.

    Tu es sans doute un peu jeune pour avoir connu le bicentenaire de 1989. J’étais très jeune mais j’en ai un souvenir assez précis. A cette époque, la seule histoire de la Révolution française dans la collection du Livre de Poche était celle de … Gaxotte ! La seule histoire de la Révolution française dans la collection Bouquins était celle de … Michelet ! Comme tu le sais, ces deux « références » sont farcies d’âneries et il peut paraître facile aujourd’hui de s’y être frotté. N’empêche, il fallait bien que quelqu’un le fasse puisque ce sont ces livres qui étaient les plus faciles d’accès pour le pékin moyen. Quand tu dis (à juste titre) que les historiens universitaires ne les prenaient plus au
    sérieux depuis longtemps, tu oublies que le pékin moyen n’en savait rien…
    A ce sujet, je pense que tu as tort quand tu dis que c’est de la rigolade de « balayer » Deutsch ou Bern car qui le fait ? Toi et quelques universitaires. Je suis désolé de vous dire que votre diffusion n’atteint pas celle de Bern, de Deutsch ou de Zemmour. Donc il faut inlassablement dénoncer leurs contre-vérités et ne pas s’imaginer qu’à partir du moment où l’Université a tranché, le peuple entier se range derrière elle.
    Poursuivons sur 1989. Ceux qui ne connaissaient rien à la Révolution se sont vus expliquer que c’était un événement formidable qui avait duré une journée (le 14 juillet) et qui avait apporté la liberté aux français et peut-être même au monde entier. On nous expliquait qu’ensuite cela avait dérapé et que l’on avait scandaleusement décapité le roi et la reine. Oui, je caricature, mais pas tant que cela… Reporte-toi à la filmographie de l’époque (le long film sur la Révolution en 2 parties, qui reprend plein de poncifs et le film Chouans par exemple) et tu comprendras que l’on oscillait entre une Révolution libératrice idéalisée et une Révolution terroriste et sanguinaire. Il est assez symptomatique de constater qu’il n’y a eu quasiment aucune célébration officielle en 1992… Voilà pour l’histoire « médiatique ».
    Pour ceux qui connaissaient mieux, l’historien qui faisait alors autorité, c’était Furet, dont tu connais la pensée et ses limites. Je dois reconnaitre que j’en connais peu de choses mais le peu que j’en percevais à l’époque, via les medias, c’était que pour lui, la Révolution avait non seulement dérapé mais qu’elle était une période plutôt négative de l’Histoire de France – cf. les quelques vidéos de Furet dont on dispose, où son enthousiasme sur le sujet n’est pas vraiment débordant. Cela peut paraître étonnant mais pour beaucoup de monde à cette époque, Furet incarnait sinon contre-révolutionnaire, du moins une histoire réactionnaire. En tout cas, la pensée de Furet n’était pas celle de Guillemin et n’était pas non plus la pensée d’autres historiens sérieux et contemporains, comme Vovelle, qui était beaucoup moins en vue que Furet à cette époque.
    Donc – je simplifie et j’en ai bien conscience – on avait le choix entre une histoire contre-révolutionnaire, une histoire furétienne et une histoire médiatique plutôt fallacieuse mais qui entrait bien en résonnance avec les célébrations du bicentenaire, que beaucoup, et moi le premier, ont vécu comme un enterrement de première classe… A ce sujet, une petite anecdote. Mon père, dans une librairie, en 1992, demande où sont les livres sur la Révolution. La libraire lui répond « Mais, monsieur, c’est fini, la Révolution ».

    J’ai bien conscience des limites de mon argumentation mais j’essaie simplement de témoigner de ce que pouvait ressentir, en 1989, une partie de la population qui, comme moi, s’intéressait à la période et en savait plus que le pékin moyen sans être pour autant un universitaire. Et c’est précisément, je pense, cette catégorie qui, aujourd’hui, regarde tes vidéos !…
    Je n’ai pas lu « Silence aux pauvres » mais j’ai lu le commentaire que tu en fais et je comprends ceux qui pensent que, à ce moment précis, Guillemin a voulu donner un coup de pied dans cette fourmilière ! Certes il l’a probablement fait avec un gros sabot et en commettant les erreurs, les
    approximations et même les partis pris que tu dénonces à juste titre mais on peut comprendre que, vu le contexte que je me suis efforcé de décrire, cela ait pu faire du bien à certains !

    Ceci dit, ce livre, tu le dis toi-même, est la compilation d’articles et constitue non pas à proprement parler un livre d’Histoire mais plutôt un pamphlet et, au fond, je crois que l’on a tort de considérer Guillemin comme un historien. C’était un polémiste, un intellectuel engagé, un critique littéraire, et, bien sûr, tout de même, un grand connaisseur de l’Histoire.

    Et en j’en viens, en conclusion, à la raison principale pour laquelle je prends ici sa défense.
    En 2017, plus grand-monde ne lit Guillemin mais beaucoup de gens l’écoutent. De fait, Guillemin reste un conférencier exceptionnel, quelqu’un qui sait tenir un auditoire – outre des aptitudes naturelles, il y a un travail et un métier évidents derrière cela. Je dirais même que Guillemin est un
    raconteur d’histoires (je devrais dire un raconteur de l’Histoire) comme il y en a sans doute eu peu – parmi les historiens « médiatiques » récents, je ne vois que Max Gallo qui ait eu un talent comparable.
    Sans les conférences de Guillemin, je ne me serais jamais intéressé à Jeanne d’Arc (et j’en serais resté à l’image d’une Jeanne d’Arc en armure dirigeant l’armée française pour bouter les Anglais hors de France), je ne me serais pas passionné (car c’est le mot) pour la guerre de 1870 et la
    Commune – dont, avant de l’écouter, je ne savais pratiquement rien. Bien sûr, après avoir découvert ces événements par Guillemin, j’ai cherché d’autres sources et j’ai pu repérer tout ce que tu dénonces chez lui.
    Je ne peux pas imaginer que je suis pas le seul internaute à avoir découvert ces pans de notre histoire grâce à lui et c’est ça, la valeur ajoutée de Guillemin : par la simple magie de son verbe, par son éloquence extraordinaire, par cette façon d’aggriper l’auditeur sans le lâcher, Guillemin est
    une porte d’entrée, un vulgarisateur, ou plus exactement, un passeur et au risque d’être provocateur, je dirai en conclusion que rien que pour cela, il faut des Henri Guillemin.

    J’aime

  4. Le même avec une modification et la correction de 2 coquilles.

    Bonjour Histony.

    Ca fait un moment que je voulais réagir à certaines de tes vidéos. Je voulais en particulier te dire que je trouvais tes vidéos sur la Révolution trop courtes. Je n’ai pas réagi sur Youtube car je n’ai pas envie de créer un compte.

    Mais là, c’est de Guillemin que je voudrais parler.

    Franchement, je ne comprends pas cet acharnement sur Guillemin qui, contrairement à Bern, Ferrand, Deutsch ou Zemmour, est mort depuis 25 ans et ne peut plus se défendre.

    Je précise que je ne suis d’aucune chapelle et que, comme toi, j’abhorre les théories complotistes en tous genres. Je précise aussi que je n’ai aucune formation historique mais que je me suis toujours interessé à l’histoire – enfin, plus exactement à certaines périodes (3ème République, Affaire Dreyfus, Révolution française (surtout la période 92-94), empire romain). Pour ce qui est de mes « relations » avec Guillemin, cela fait 2 ou 3 ans que j’écoute ses conférences. J’avais lu son bouquin sur Robespierre il y a longtemps.

    Bien sûr, Guillemin, il faut en prendre et en laisser. Il y a plein de raccourcis, d’abus de citations (parfois déformées), d’interprétations discutables, d’hypothèses érigées en vérités et, tout simplement, d’erreurs et il faut les dénoncer. De même, le très brillant cotoie parfois le filandreux (la fin de la dernière conférence sur Jeanne d’Arc, certains passages de ses conférences sur Napoléon et sur Tolstoï, ce qu’il dit de Pierre Laval). Mais il est parfois étonnamment juste – cf. sa série sur Pétain où il explique par exemple, 35 ans avant que nous en ayons la confirmation par le document, que c’est Pétain qui a été le plus sévère dans la première rédaction du statut des juifs en 1940.

    Guillemin conférencier assume ne pas être neutre. Pour autant, à mon sens, il ne se pose pas en juge ; je dirais plutôt qu’il est tour à tour avocat (de Robespierre, de la Commune etc.) et procureur (de Danton, de Napoléon III, de Bazaine, de Pétain, de Napoléon etc.). J’irais même jusqu’à dire qu’il a ses chouchous (Rousseau, Hugo, Lamartine) et ses têtes de turc (Voltaire, Constant, la Banque de France, George Sand…).

    J’en profite ici pour exprimer un point de désaccord avec toi. Tu expliques qu’en histoire, il n’y a pas de bons et pas de méchants. Tu perçois toi-même la limite d’une telle pensée en ajoutant que l’on peut difficilement mettre les nazis et leurs victimes dans le même panier… Et bien oui, justement. La réalité, c’est qu’il y a toujours eu des bons et des méchants et le nier, c’est … anti-historique. Certes, cela ne doit pas être la seule grille de lecture d’un épisode de l’Histoire mais c’est ainsi : il y a eu, il y a et il y aura toujours des bons et des méchants – et aussi, bien sûr beaucoup de gens qui ne sont ni l’un ni l’autre.

    Alors, venons-en à cette « histoire officielle » à laquelle il fait si souvent référence. Après y avoir mûrement réfléchi, je pense que l’histoire officielle dans l’esprit de Guillemin, c’est l’histoire telle qu’on lui a apprise au cours de ses études, notamment à l’Ecole Normale Supérieure. C’est pour cela qu’il fait si souvent référence à Michelet, à Bainville et à Madelin. Se penchant tardivement sur l’Histoire via Lamartine, il s’est rendu compte que le récit historique qui lui avait été fait de certains événements – l’histoire pour lui officielle, donc – ne correspondait pas toujours – ou, disons, pas toujours entièrement – à la réalité historique. D’ailleurs, si tu as écouté ses conférences ou si tu as lu son livre sur Robespierre, tu sais qu’il n’a pas lu que Michelet, Bainville et Madelin et qu’il a des références plus récentes que Chateaubriand ou Mme de Staël. Il se réfère à Mathiez, à Soboul, à Régine Pernoud (qu’il dit être la meilleure connaisseuse de Jeanne d’Arc), à H. Lefebvre, à J. Rougerie, à J. Massin, à M. Gallo, à J. Tulard, bref à des auteurs récents à son époque.
    Toutefois, je suis entièrement d’accord avec toi que cette façon de procéder en disant « Attention, moi, je détiens la vérité et je vais vous la dire » est assez fatigante mais je pense qu’il veut mettre un point d’honneur à lutter contre des idées répandues encore aujourd’hui (Robespierre et la
    Commune ensevelis sous les calomnies, Bonaparte uniquement vu à travers la gloire etc). Il faut remettre Guillemin dans son contexte, dans son époque, dans son temps. C’est ce que tu ne fais pas assez à mon sens et je vais le développer dans le paragraphe suivant.

    Tu es sans doute un peu jeune pour avoir connu le bicentenaire de 1989. J’étais très jeune mais j’en ai un souvenir assez précis. A cette époque, la seule histoire de la Révolution française dans la collection du Livre de Poche était celle de … Gaxotte ! La seule histoire de la Révolution française dans la collection Bouquins était celle de … Michelet ! Comme tu le sais, ces deux « références » sont farcies d’âneries et il peut paraître facile aujourd’hui de s’y être frotté. N’empêche, il fallait bien que quelqu’un le fasse puisque ce sont ces livres qui étaient les plus faciles d’accès pour le pékin moyen. Quand tu dis (à juste titre) que les historiens universitaires ne les prenaient plus au
    sérieux depuis longtemps, tu oublies que le pékin moyen n’en savait rien…
    A ce sujet, je pense que tu as tort quand tu dis que c’est de la rigolade de « balayer » Deutsch ou Bern car qui le fait ? Toi et quelques universitaires. Je suis désolé de vous dire que votre diffusion n’atteint pas celle de Bern, de Deutsch ou de Zemmour. Donc il faut inlassablement dénoncer leurs contre-vérités et ne pas s’imaginer qu’à partir du moment où l’Université a tranché, le peuple entier se range derrière elle.
    Poursuivons sur 1989. Ceux qui ne connaissaient rien à la Révolution se sont vus expliquer que c’était un événement formidable qui avait duré une journée (le 14 juillet) et qui avait apporté la liberté aux français et peut-être même au monde entier. On nous expliquait qu’ensuite cela avait dérapé et que l’on avait scandaleusement décapité le roi et la reine. Oui, je caricature, mais pas tant que cela… Reporte-toi à la filmographie de l’époque (le long film sur la Révolution en 2 parties, qui reprend plein de poncifs et le film Chouans par exemple) et tu comprendras que l’on oscillait entre une Révolution libératrice idéalisée et une Révolution terroriste et sanguinaire. Il est assez symptomatique de constater qu’il n’y a eu quasiment aucune célébration officielle en 1992… Voilà pour l’histoire « médiatique ».
    Pour ceux qui connaissaient mieux, l’historien qui faisait alors autorité, c’était Furet, dont tu connais la pensée et ses limites. Je dois reconnaitre que j’en connais peu de choses mais le peu que j’en percevais à l’époque, via les medias, c’était que pour lui, la Révolution avait non seulement dérapé mais qu’elle était une période plutôt négative de l’Histoire de France – cf. les quelques vidéos de Furet dont on dispose, où son enthousiasme sur le sujet n’est pas vraiment débordant. Cela peut paraître étonnant mais pour beaucoup de monde à cette époque, Furet incarnait sinon une histoire contre-révolutionnaire, du moins une histoire réactionnaire. En tout cas, la pensée de Furet n’était pas celle de Guillemin et n’était pas non plus la pensée d’autres historiens sérieux et contemporains, comme Vovelle, qui était beaucoup moins en vue que Furet à cette époque.
    Donc – je simplifie et j’en ai bien conscience – on avait le choix entre une histoire contre-révolutionnaire, une histoire furétienne et une histoire médiatique plutôt fallacieuse mais qui entrait bien en résonnance avec les célébrations du bicentenaire, que beaucoup, et moi le premier, ont vécu comme un enterrement de première classe… A ce sujet, une petite anecdote. Mon père, dans une librairie, en 1992, demande où sont les livres sur la Révolution. La libraire lui répond « Mais, monsieur, c’est fini, la Révolution ».

    J’ai bien conscience des limites de mon argumentation mais j’essaie simplement de témoigner de ce que pouvait ressentir, en 1989, une partie de la population qui, comme moi, s’intéressait à la période et en savait plus que le pékin moyen sans être pour autant un universitaire. Et c’est précisément, je pense, cette catégorie qui, aujourd’hui, regarde tes vidéos !…
    Je n’ai pas lu « Silence aux pauvres » mais j’ai lu le commentaire que tu en fais et je comprends ceux qui pensent que, à ce moment précis, Guillemin a voulu donner un coup de pied dans cette fourmilière ! Certes il l’a probablement fait avec un gros sabot et en commettant les erreurs, les
    approximations et même les partis pris que tu dénonces à juste titre mais on peut comprendre que, vu le contexte que je me suis efforcé de décrire, cela ait pu faire du bien à certains !

    Ceci dit, ce livre, tu le dis toi-même, est la compilation d’articles et constitue non pas à proprement parler un livre d’Histoire mais plutôt un pamphlet et, au fond, je crois que l’on a tort de considérer Guillemin comme un historien. C’était un polémiste, un intellectuel engagé, un critique littéraire, et, bien sûr, tout de même, un grand connaisseur de l’Histoire.

    Et en j’en viens, en conclusion, à la raison principale pour laquelle je prends ici sa défense.
    En 2017, plus grand-monde ne lit Guillemin mais beaucoup de gens l’écoutent. De fait, Guillemin reste un conférencier exceptionnel, quelqu’un qui sait tenir un auditoire – outre des aptitudes naturelles, il y a un travail et un métier évidents derrière cela. Je dirais même que Guillemin est un
    raconteur d’histoires (je devrais dire un raconteur de l’Histoire) comme il y en a sans doute eu peu – parmi les historiens « médiatiques » récents, je ne vois que Max Gallo qui ait eu un talent comparable.
    Sans les conférences de Guillemin, je ne me serais jamais intéressé à Jeanne d’Arc (et j’en serais resté à l’image d’une Jeanne d’Arc en armure dirigeant l’armée française pour bouter les Anglais hors de France), je ne me serais pas passionné (car c’est le mot) pour la guerre de 1870 et la
    Commune – dont, avant de l’écouter, je ne savais pratiquement rien. Bien sûr, après avoir découvert ces événements par Guillemin, j’ai cherché d’autres sources et j’ai pu repérer tout ce que tu dénonces chez lui.
    Je ne peux pas imaginer que je suis le seul internaute à avoir découvert ces pans importants de notre histoire grâce à lui et c’est ça, la valeur ajoutée de Guillemin : par la simple magie de son verbe, par son éloquence extraordinaire, par cette façon d’aggriper l’auditeur sans le lâcher, Guillemin est une porte d’entrée, un vulgarisateur, ou plus exactement, un passeur et au risque d’être provocateur, je dirai en conclusion que rien que pour cela, il faut des Henri Guillemin.

    J’aime

  5. Apparemment, Histony, votre cher président, avec cette nouvelle nomination de Bern au patrimoine, cherche à vous contredire. On dirait qu’il pourrait réinventer l’histoire officielle. On en est encore loin, évidemment, mais avec ce bonhomme, j’ai l’impression que les choses risquent d’aller très vite.
    🙂
    Mais sinon, je suis plutôt d’accord avec vous sur l’ensemble de votre vidéo. Les choses sont encore moins graves en Belgique où, depuis la décolonisation, le roman national et les romans régionaux ont pris du plomb dans l’aile (même si Bart De Wever, l’homme fort de Flandre, est un historien complètement barge). De notre côté, les historiens sont plutôt libres. Mais par contre, ils sont presque toujours totalement inaudibles. Nous n’avons pas la même amplitude médiatique que chez vous. Nous souffrons du complexe d’infériorité qui nous fait préférer l’histoire des autres pays, comme la France.
    Cela dit, on a eu et on a encore d’excellents historiens qui travaillent sur différentes périodes dans nos régions. Notre avantage certain, c’est que nos formations se concentrent sur la nécessité d’apprendre pas mal de langues pour multiplier nos points de vue.

    Du point de vue médiatique, on a quelques émissions (je viens d’en faire une d’ailleurs), mais c’est très confidentiel.
    Les journaux, eux, sont plutôt intelligemment critiques sur les romans nationaux et autres.

    Bref, en dehors des problèmes de financement, qui sont sans doute encore plus graves que chez vous, j’aurais tendance à dire qu’on est en meilleure situation qu’en France.

    (reste que nous avons une stupide loi mémorielle, mais je crois qu’elle est moins contraignante que chez vous, et Chomsky a le droit de parler chez nous, au moins) 😀

    J’aime

  6. Je ne veux pas (si en fait) faire le chieur mais il me semble qu’une malfaçon méthodologique se soit glissée dans votre exposé : la définition des termes du sujet (que son règne vienne sur la terre comme au ciel, amen) est tout à fait insatisfaisante. Si sur l’ensemble de la démonstration je suis plutôt d’accord je profite que la conclusion est une invitation à la contradiction pour pointer ce qui est pour moi une faille dans votre démonstration : vous dites « il n’y a pas d’histoire officielle puisque notre société est libérale et pluraliste et que la liberté d’expression permet une mise en concurrence des discours historiques ». Or officiel n’est en rien synonyme d’unique et nous ne pouvons pas penser nos sociétés contemporaines à l’aune de polarisations fortes et de centralismes rigides aujourd’hui révolus. En effet nous ne somme pas dans une société totalitaire produisant une dogme unique et absolument coercitif. Nous ne vivons pas non plus dans une société théocratique condamnant à l’apostasie toute pensée critique. Cependant la multiplicité des histoires « légitimes » (que leur légitimité soit scientifique ou politique, méthodologique ou charismatique) n’empêche pas l’existence d’une, voir de plusieurs, histoires officielles.
    Plutôt que de nier l’existence d’une histoire officielle (qui existe indéniablement à divers échelles : les programmes scolaires sont officiels, les universitaires, les commémorations publiques, le calendrier même sont officiels), ne serait il pas plus intéressant de comprendre comment dans nos sociétés des figures et structures de pouvoirs multiples produisent des discours d’autorités parfois parallèles et parfois opposés?
    Ainsi quand vous dites « puisque la gauche et la droite critiquent des registres d’officialités contradictoires ces officialités n’existent pas » ne faudrait il pas comprendre plutôt que même si ces autorités constituées (officielles) sont multiples, en concurrence et relativement peu coercitives elles existent tout de même?
    Donc si il n’existe pas qu’UNE seule histoire officielle il en existe néanmoins. Soit je ne fais qu’enculer des mouches (possible) soit, tout en déviant de votre propos, j’ouvre une piste de réflexion sur la production des discours légitimes dans une société pluraliste aux verticalités multiples et protéiformes (en toute modestie bien sûr). Cette fragmentation de l’officialité aboutie elle à la négation de l’officialité et donc des autorités constituées stables? Est ce un symptôme d’une société marchande segmentant une offre culturelle pour des consommateurs avides de différenciation? Sont ce là les ferments de communautarismes identitaires rongeant les soubassements idéologiques de l’Etat-Nation?
    J’admire sincèrement votre énorme travail de vulgarisation et je vous pris d’excuser ma trop longue jactance.

    J’aime

Laisser un commentaire

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑