Dossier

Moeurs et sexualité en Océanie

margaret mead, « Adolescence à Samoa », 1928, et « Trois sociétés primitives de Nouvelle-Guinée », 1935, traduits et rassemblés en France sous le titre Moeurs et sexualité en Océanie, 1963, rééd. Pocket, coll. «Terre humaine », 1993.

Régis Meyran

Hors-séries (ancienne formule) N° 42 - Septembre-octobre-novembre 2003

1928-1935 margaret mead

La femme est-elle douce et maternelle par nature ? L'homme est-il universellement autoritaire et rude ? L'adolescence est-elle l'étape obligée pour passer de l'enfance à l'âge adulte ? Autant d'évidences que remet en cause l'anthropologue américaine Margaret Mead, dans deux textes désormais classiques, parus en français en 1963 sous le titre Moeurs et sexualité en Océanie.

L'adolescence : une catégorie inconnue.

Dans « Adolescence à Samoa » (1928), Mead soutient que l'adolescence n'est pas une étape nécessaire entre l'enfance et l'âge adulte : si « l'âge ingrat » est aux Etats-Unis une période de trouble, où l'apparition des premiers émois sexuels provoque un dérèglement des esprits et une révolte contre l'autorité, l'ethnologue affirme qu'il n'en va pas de même dans les îles Samoa. En effet, les jeunes adolescent(e)s ont une sexualité libre et heureuse : garçons et filles peuvent nouer plusieurs relations à la fois ou pratiquer l'homosexualité, et tout cela est accepté par la société samoane.

L'absence de nature féminine.

Dans « Trois sociétés primitives de Nouvelle-Guinée » (1935), Mead analyse, à partir de ses observations de terrain, les différences de caractère entre hommes et femmes. Chez les Arapeshs, l'ordre social s'organise en fonction de l'attention portée aux enfants, et la douceur, l'altruisme, la délicatesse sont des valeurs partagées par les deux sexes. Chez les Mundugumors, l'agressivité et l'individualisme sont de mise : les hommes pratiquent l'anthropophagie, se livrent des guerres meurtrières, et tout dans l'univers des deux sexes n'est que méfiance, violence et affrontement. Dans la tribu des Chambulis enfin, les différences de sexe semblent plus marquées : les hommes y sont avant tout des artistes, occupés à plaire aux femmes... car celles-ci possèdent le pouvoir économique. De ces trois études, Mead conclut que les différences entre les sexes sont culturelles et qu'il n'y a pas de « nature féminine ». Ainsi, les rôles sexuels occidentaux (mâle dominant et femme soumise) ne sont qu'une variante parmi une infinité de possibles.

Ces textes passionnants, écrits d'une belle plume, nous plongent dans un délicieux exotisme et sont une bonne introduction à l'oeuvre de celle qui fut l'une des figures de proue de l'école dite « culture et personnalité », inspirée par Franz Boas. Mead eut le grand mérite de montrer que le caractère d'un être humain, loin d'être une donnée entièrement innée, est en grande partie formé par la culture dans laquelle il a vécu. Toutefois, il s'agissait aussi pour cette ethnologue engagée de critiquer le rôle social exigu dans lequel la société américaine cantonnait la femme : cet angle d'approche n'aurait-il pas altéré l'objectivité de son regard ? En 1983, l'anthropologue australien Derek Freeman a revisité la société samoane et émis quelques doutes sur les conclusions d'« Adolescence à Samoa » : selon lui, la liberté sexuelle n'y existe pas et les femmes sont très contraintes par les hommes. L'affaire Mead ne s'arrête pas là : en 2001, Serge Tcherkézoff trouve les critiques de Freeman excessives, même s'il pense que Mead s'est trompée... Une seule chose est certaine : on ne peut pas retrouver les îles Samoa telles qu'elles étaient dans les années 20, et donc on ne pourra jamais plus voir ce que Mead a vu !

Abonnez-vous
Vous n'êtes pas encore abonné ?

Découvrez notre offre Digital + Archives avec 50% de réduction pour un premier abonnement à Sciences Humaines !

Toutes nos formules d'abonnement vous permettent désormais d'accéder à cet article et à toutes les archives de Sciences Humaines (plus de 30 000 articles parus depuis 1990) !

Vous êtes déjà abonné ?

Connectez-vous
Numéros en cours
Le but des commentaires est de permettre un échange entre les auteurs et les lecteurs de Sciences Humaines. Chaque commentaire proposé sur le site est soumis à une modération. Pour en savoir plus sur les règles et traitement des données personnelles liées aux commentaires, consulter notre politique de confidentialité.
* Champ obligatoire