Vices et vertus des animaux 3(/7). Des chimpanzés qui mentent à leurs semblables, des corbeaux qui dupent des cygnes, des orangs-outans qui trompent des gardiens de zoo : les amis des animaux raffolent de ces récits qui évoquent furieusement les Fables de La Fontaine. Au début du XIXe siècle, le naturaliste Edward Pett Thompson racontait ainsi l’histoire d’un singe qui se faisait subtiliser tous les jours sa nourriture par un corbeau : installé au sommet d’un mât, il ne parvenait pas à descendre suffisamment vite vers son assiette. Un jour, le singe se traîna sur le sol, apparemment épuisé, avant de s’allonger, comme à l’agonie. Lorsque le corbeau s’approcha, rassuré par l’immobilité de sa victime, le singe se jeta sur lui et le pluma.
Les ruses du drongo brillant
Au XXe siècle, les primatologues ont considérablement enrichi cette chronique de l’animal menteur en observant moult ruses et tromperies dans le monde des bêtes. Dans un article paru en 2006, Lucy Bates et Richard Byrne, de l’université de Saint Andrews (Ecosse), racontent ainsi les habiles leurres des babouins des montagnes du Drakensberg (Afrique du Sud) : lorsqu’un babouin est poursuivi par le chef du groupe parce qu’il a maltraité un petit, il s’arrête brutalement, se dresse sur ses pattes arrière et regarde fixement l’horizon, comme s’il apercevait un prédateur ou une troupe de babouins rivaux. Son poursuivant, subitement inquiet, fait de même… et oublie le différend qui les occupait.
Les singes n’ont apparemment pas le monopole de la tromperie. Le drongo brillant, un passereau chanteur qui vit dans le désert du Kalahari (Afrique du Sud), imite ainsi à la perfection le cri d’alarme de plus de 45 animaux… et se sert de ce talent pour les duper. Lorsque le drongo brillant voit un suricate déguster un lézard, il lance le cri d’alarme du suricate, qui s’enfuit précipitamment pour se mettre à l’abri. « Alors, le drongo s’empare du mets abandonné et s’envole, raconte Jean-Claude Ameisen dans son livre Sur les épaules de Darwin. Près du quart de la nourriture quotidienne du drongo brillant provient de son activité de voleur multilingue. »
Nul doute : les animaux trompent leur entourage. Un singe qui feint l’agonie pour plumer un corbeau, un babouin qui fait mine d’apercevoir des prédateurs pour distraire un poursuivant, un drongo qui lance un cri d’alarme mensonger pour voler de la nourriture ne disent évidemment pas le « vrai », pour parler comme un enfant. Mais mentent-ils pour autant ? Ont-ils une « chose dans l’esprit » tout en en avançant « une autre au moyen de mots ou de n’importe quel autre type de signes », selon la définition du mensonge énoncée au Ve siècle par le philosophe saint Augustin ? Pas forcément, répond l’anthropologue Gérard Lenclud, directeur de recherche honoraire au CNRS.
Il vous reste 73.24% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.