La stratégie numérique offensive du FN

Très active sur les réseaux sociaux, la formation lepéniste affiche une longueur d'avance dans ce domaine sur ses concurrents. Décryptage.

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Capture d'écran du compte Twitter de Marine Le Pen.
Capture d'écran du compte Twitter de Marine Le Pen. © DR

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Mieux que François Hollande ! Marine Le Pen compte 876 411 "amis" sur Facebook. Là où le président de la République plafonne à 751 434. La présidente du FN est derrière Nicolas Sarkozy (958 540), mais très loin devant la tête de liste des Républicains en Nord-Pas-de-Calais : Xavier Bertrand (34 760). Certes, la comptabilité des soutiens affichés par la présidente du Front national ne préjuge en rien du nombre de suffrages qu'elle réunira dimanche prochain au second tour des régionales. Mais un simple tour d'horizon sur la Toile démontre combien la porte-parole de l'extrême droite en France soigne sa présence sur les réseaux sociaux.

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Même constat pour Marion Maréchal-Le Pen (375 959 abonnés sur Facebook) qui enfonce largement son challenger Christian Estrosi (126 595). Ou encore Florian Philippot qui dénombre 25 248 soutiens virtuels contre 7 892 pour Philippe Richert et 1 587 abonnés seulement pour Jean-Pierre Masseret !

Sur Twitter, les figures de proue du FN affichent la même avance par rapport à leurs concurrents*. Hyperactives, Marine Le Pen et sa nièce Marion Maréchal-Le Pen publient jusqu'à une dizaine de publications par heure où elles se mettent en scène. Comme en témoigne l'échange suivant, daté du 10 décembre.



Peu importe que certains des "amis" virtuels des Le Pen (tante et nièce) ne soient pas de vrais soutiens. Des dizaines de journalistes y sont inscrits afin d'être renseignés en temps réel. Ou même que flotte la suspicion de "faux amis" : selon une étude réalisée en 2014, une grande majorité des abonnés des pages d'hommes et de femmes politiques (tous bords confondus) seraient de "faux comptes créés par des robots ou des comptes inactifs" achetés auprès de sociétés spécialisées. Le but est de faire "nombre".

Pionnier sur le Net

"Le Front national a longtemps fait figure de précurseur dans l'histoire du web politique français. Premier parti politique à se doter d'un site internet en 1996, le FN est également l'une des premières formations partisanes à ouvrir un compte sur le réseau social Facebook en 2006", indique Julien Boyadjian, chercheur associé au centre d'études politiques de l'université de Montpelier.

Dans un excellent ouvrage mettant à nu le fonctionnement du parti fondé par Jean-Marie Le Pen en 1972**, le politologue consacre un chapitre aux "usages frontistes du Web". Selon lui, la stratégie du FN sur le Net viserait trois objectifs. D'abord, mobiliser ses troupes et renforcer sa légitimité électorale "en arguant de la force du nombre". Investissant plus tôt la webosphère que les autres formations partisanes parce qu'il s'estimait "boudé" par les médias traditionnels, le Front national récolterait depuis quelques mois les fruits de ce long travail sur les réseaux.

Deuxième objectif visé par le parti lepéniste, offrir une vitrine, "une façade politique respectable" en reprenant les codes des sites et comptes officiels des partis de gouvernement et "en mettant en exergue une parole fortement contrôlée et homogénéisée", analyse Julien Boyadjian. De nombreuses directives adressées par Nicolas Bay, secrétaire général du parti, aux représentants locaux du Front témoignent de la vigilance dont l'entourage de Marine Le Pen fait preuve à l'égard des pages "officielles" de ses candidats. Et ce pour éviter des scandales liés à des prises de parole racistes ou antisémites comme au moment des dernières départementales ou municipales.

Troisième et dernier objectif : en marge de ses sites officiels, "permettre à une parole frontiste moins contrôlée de se déployer (pour) continuer d'incarner une logique doctrinale de radicalisation". Quitte à provoquer les "bien-pensants" comme l'appareil frontiste désigne une partie des médias. À cet égard, la vidéo postée par Jean-Marie Le Pen et visant Christian Estrosi, au soir du premier tour, s'inscrit un peu dans cette ligne. On y voyait le candidat des Républicains entouré de rabbins Loubavitch en liesse, car célébrant le premier jour de Hannoukah (les fêtes juives des lumières qui sont, cette année, célébrées un peu avant Noël, NDLR). Le père de Marine Le Pen avait accompagné cette courte séquence d'un commentaire lapidaire et fielleux : "contre mauvaise fortune, bon coeur". Il a retiré ce tweet depuis devant la polémique.

Un moyen de séduire les jeunes et les seniors

Une cellule d'une demi-douzaine de personnes, constituée en 2007 par David Rachline, réalise un important travail de veille sur le Net. Repérant les sujets qui montent et sont susceptibles de faire le buzz, modérant les forums officiels pour en retirer les contributions de partisans qui pourraient constituer des dérapages. Mais aussi et surtout alimentant en commentaires, pas forcément sympathiques, les sites de ses adversaires. "Le FN a constitué très tôt de petits groupes de trolls (internautes susceptibles de "polluer" les sites de ses concurrents, NDLR). Le parti a dans ce domaine une expertise reconnue", témoigne Benoît Thieulin, directeur de l'agence Netscouade, qui a conseillé Ségolène Royal dans sa stratégie digitale lors de la présidentielle de 2007.

La cellule internet du FN encourage par ailleurs les seniors et les inactifs (une cible de choix car très active sur le Web comme le démontre une étude récente du Credoc) à passer leur temps libre à faire du "cybertractage" sur le Net. Le site lespatriotes.net propose chaque jour aux militants frontistes une "mission" sur les réseaux sociaux. Le 30 novembre, elle invitait ainsi ses troupes à multiplier les commentaires sur le site internet de La Voix du Nord après que le quotidien régional eut confié son "inquiétude" face à la montée de Marine Le Pen. Et pour récompenser ses militants les plus actifs, le FN distribue des bons points et inscrit sur un tableau d'honneur les cinq "volontaires de la semaine" qui ont réalisé les meilleurs scores !

Capture d'écran du site lespatriotes.net. ©  DR
Capture d'écran du site lespatriotes.net. © DR



Tableau d'honneur des cinq cybermilitants les plus actifs sur la toile. Capture d'écran du site lespatriotes.net. ©  DR
Tableau d'honneur des cinq cybermilitants les plus actifs sur la toile. Capture d'écran du site lespatriotes.net. © DR


* Marine Le Pen y est suivie par plus de 817 000 personnes. Marion Maréchal-Le Pen dénombre 97 800 "followers". Et Florian Philippot : 58 800 personnes. À titre de comparaison, Xavier Bertrand en compte 61 200. Côté "Républicains" : Christian Estrosi affiche 76 400 abonnés. Philippe Richert (qui n'est plus actif sur ce réseau social depuis 2011) 1 249. Jean-Pierre Masseret : 4 662 "followers".

** "Les faux-semblants du Front national", sous la direction de Sylvain Crépon, Alexandra Dèze et Nonna Mayer, Sciences Po les presses, 599 p.
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Commentaires (5)

  • logiquedebase

    Ont pourtant voté dimanche non ? Étonnant de toujours dénigrer un succès qu'on n'a pas voulu voir arriver...

  • Laurentbkk

    Et oui même sur le blog du Point, ils sont présents, mais il ne faut pas les critiquer sinon les commentaires passent a la trappe, comme mon dernier commentaire. Quelle déception, je pensais le Point sans étiquette, me serais je trompé ?

  • Toupic

    La rumeur dont j'ai fait part il y a quelques jours (bien sur censurée) serait donc vraie, certains journalistes (ici ou ailleurs) "motivés" (de gré ou de force) par le FN, pour laisser une place éhontée aux commentaires type "grelots lepenistes" sur ce Forum et d'autres !. Faites bien attention, ce genre de manœuvre est souvent contre-productive ! Et puis la Famille Le Pen et consorts, , savez vous au juste, comment ça va se conclure ? Moi non plus ! Mais vous aurez bonne mine si jamais !, Cordial conseil d'ami lecteur !