"Le groupe Reconquête! autour d'Éric Zemmour a industrialisé l'amplification de sa parole sur Twitter"

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"Le groupe Reconquête! autour d'Éric Zemmour a industrialisé l'amplification de sa parole sur Twitter"

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Les militants d'Eric Zemmour sont très actifs sur Twitter.
Les militants d'Eric Zemmour sont très actifs sur Twitter.
- Capture d'écran

Depuis le début de la campagne présidentielle, Éric Zemmour est extrêmement présent sur les réseaux sociaux. Mais ses militants utilisent une pratique "interdite par les termes d'utilisation de Twitter", indique David Chavalarias, chercheur au CNRS, qui a analysé "plusieurs millions de comptes" ces derniers mois.

Avec près de 7 millions de messages citant Éric Zemmour sur les réseaux sociaux au mois de février, d'après notre baromètre, le candidat Reconquête! semble avoir acquis une communauté militante extrêmement importante. Mais derrière ces chiffres se cachent des pratiques qui enfreignent les règles de Twitter, selon David Chavalarias, directeur de recherche à l'Institut des systèmes complexes du CNRS à Paris et auteur de "Toxic Data, comment les réseaux manipulent nos opinions" (Éd. Flammarion). 

Avec ses équipes, le chercheur a développé un outil, appelé "politoscope", qui permet d'"observer le militantisme politique en ligne et notamment la manière dont les leaders politiques organisent leurs stratégies de communication en campagne électorale". Ces derniers mois, les chercheurs ont analysé les comptes Twitter des candidats à la présidentielle et ceux de leur communauté. Au total, les mouvements de "plusieurs millions de comptes" ont été scrutés. Il en ressort que les militants d'Éric Zemmour utilisent la technique de "l'astroturfing" pour amplifier sa parole. Un travail qui vient confirmer les révélations du journal Le Monde, début février, sur les pratiques des militants d’Éric Zemmour pour gonfler artificiellement la présence de leur candidat sur Twitter. "On fait tout à la main, on n'a pas besoin de robots", avait répondu le responsable numérique de la campagne Samuel Lafont, interrogé par l'AFP. Explications en cinq questions à David Chavalarias.

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L’instant M
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FRANCE INTER : Qu'est-ce que l'astroturfing ?

DAVID CHAVALARIAS : "Il s'agit de faire croire qu'il y a une activité ou une adhésion d'une population à une cause, une idée ou à une personne, alors qu'en fait, elle est en partie factice ou fabriquée. Par exemple, à chaque fois que vous voulez passer un message, vous faites poster ce message par plusieurs personnes en même temps au même moment, pas comme si elles retweetaient mais comme si plusieurs personnes pensaient la même chose au même moment. Techniquement, les militants se synchronisent sur des réseaux tierces, comme par exemple Telegram ou Signal. Ils disent 'veuillez tweeter ça'. Et ensuite, tout le réseau tweete la même chose. Mais des robots peuvent aussi être utilisés pour relayer automatiquement tout ce qui est posté par les comptes auxquels ils sont abonnés."

Comment est-ce utilisé par les équipes d'Éric Zemmour ?

"Ce qu'on a observé, c'est que toutes les tendances politiques le font mais le groupe Reconquête! autour d'Éric Zemmour a industrialisé cette technique. Certains de ses comptes ont participé à plus de 1 300 campagnes depuis septembre 2021. Là où, par exemple, des comptes LFI, les Verts, etc. ont une ou deux campagnes. On n'est pas du tout sur le même ordre de grandeur ni sur le même type d'organisation. Les équipes d'Éric Zemmour exploitent les environnements informationnels comme Twitter pour amplifier leur parole."

Est-ce interdit par Twitter ?

"Cette exploitation est interdite par les termes d'utilisation de Twitter. Ce qu'il faut savoir, c'est que sur les réseaux sociaux, vous ne pouvez pas tout lire et donc ces grandes plateformes ont toute une artillerie algorithmique pour vous montrer du contenu et vous suggérer du contenu. En ce sens, Twitter a des outils, comme par exemple les tendances Twitter, qui sont là pour essayer de montrer aux utilisateurs ce qui est en train de monter dans l'intérêt de la population en général. Cet algorithme suit ce qui est en train d'être retweeté de manière intensive à un moment donné. Or, la manière dont on construit tout cela peut être instrumentalisée, manipulée par des groupes très coordonnés. C'est ce que fait, par exemple, l'équipe autour d'Éric Zemmour. Et si vous instrumentalisez ces algorithmes pour faire croire que tout le monde s'intéresse à un sujet, alors qu'en fait c'est 5 000 personnes coordonnées qui font ça, cela va à l'encontre des termes d'utilisation de Twitter. Dans ces cas-là, la plateforme dit explicitement qu'elle suspend les comptes."

Quel est le but de l'astroturfing ?

"Le but premier est d'arriver à conquérir des militants en dehors de son cercle restreint. En France, peu de gens militent activement et donc, du point de vue d'un parti politique, il faut arriver à toucher le Français lambda pour qu'il s'intéresse à vos idées. Si vous arrivez à faire en sorte que la plateforme Twitter recommande aux 15 millions d'utilisateurs français de voir vos contenus, là, vous arrivez à sortir de votre microcosme. Il y a donc un avantage politique certain à manipuler les algorithmes de recommandations pour essayer d'atteindre des gens qui n'auraient pas écouté ou regardé vos contenus. C'est une technique assez puissante d'un point de vue d'influence d'opinion parce qu'on est plus à même de se dire que si tout le monde pense telle chose, alors cette idée est légitime plutôt que lorsqu'une seule personne veut nous y faire penser."

L'équipe d'Éric Zemmour utilise-t-elle des programmes informatiques, comme l'indique Le Monde ?

"Je pense que l'analyse du Monde est juste, au sens où ils utilisent très, très probablement des robots et des fermes à contenus [entreprises, parfois étrangères, spécialisées dans l'influence sur le web NDLR]. Dans la communauté d'Éric Zemmour, tout comme dans celle des Patriotes, par exemple, il y a des comptes qui, tout à coup, font 600 tweets le même jour sur le même sujet. Mais pour l'instant, ce n'est que de l'observation car les données et les plateformes sont fermées. C'est très difficile pour un chercheur de vérifier tout ça."

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