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Récit

Une scission et l’Action française ne sait plus comment elle s’appelle

Le mouvement royaliste se déchire depuis la fin de l’année dernière et la mise au ban d’une de ses figures, l’avocat Elie Hatem, qui revendique l’usage exclusif de la «marque».
par Robin d’Angelo
publié le 18 mars 2019 à 20h26

Bienvenue à l'Action française, ses fleurs de lys, ses camelots du roi et… sa toute dernière scission. Depuis la fin de l'année 2018, le mouvement royaliste d'extrême droite s'est scindé en deux. Le Centre royaliste d'Action française (Craf, communément considéré comme représentant de l'Action française) fait désormais face à l'association Amitié et Action française. Depuis, les insultes fusent entre les deux camps : «charlatans», «boulets», «usurpateurs»… Sur les réseaux sociaux, pas facile non plus de distinguer les deux comptes : «l'Action française» et leur nouveau concurrent «Action française» (sans le «l'»). De quoi donner le tournis aux royalistes.

A l'origine du clash, la mise au ban d'Elie Hatem par certains cadres du Craf, l'entité historique. Avocat franco-libanais issu de l'aristocratie maronite, Hatem, 49 ans, est un orateur régulier du mouvement royaliste dans les médias d'extrême droite ou lors de réunions publiques. Il est aussi le rédacteur des statuts juridiques du Craf, association loi 1901 depuis 1998, mais sans en être membre. Elie Hatem est aussi proche de personnes ouvertement racistes. Ainsi, il était prévu au programme d'une conférence réunissant le 19 janvier à Paris les pires figures de l'antisémitisme, telles que Hervé Ryssen, auteur «antijuifs», Jérôme Bourbon, directeur de l'hebdo négationniste Rivarol, Yvan Benedetti, animateur du groupuscule pétainiste Jeune Nation, ainsi que le multicondamné pour incitation à la haine raciale Alain Soral. Elie Hatem n'est finalement pas venu «pour des raisons d'emploi du temps», fait-il savoir à Libération. Mais il a bien «donné [son] accord pour tenir un discours au nom de l'Action française à l'invitation de M. Benedetti».

C'est là que le Craf a tiqué, entérinant la rupture : «On ne souhaite pas que des gens comme ça salissent ce que représente l'Action française», dit à Libération François Bel-Ker, le secrétaire général. Résultat, voilà Elie Hatem qui fait bande à part avec son association Amitié et Action française.

Bande

Mais dans ce bras de fer entre royalistes, l'avocat peut compter sur le soutien de Marie-Gabrielle Pujo, 88 ans, fille de Maurice Pujo, cofondateur du mouvement en 1898 avec Charles Maurras, et toujours détentrice de la marque «l'Action française» à l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi). «Elle nous en a gentiment cédé l'usage, nous sommes les seuls à pouvoir nous en revendiquer, fait valoir Hatem. Nous n'admettrons jamais que le Craf se prévale d'un lien avec l'Action française.» Parmi ses autres soutiens, Michel Fromentoux, rédacteur historique du journal de l'Action française, le bimensuel l'Action française 2000, l'auteur pétainiste Gérard Bedel, ou encore André Charles, qui fait office de président du mouvement.

Hatem a aussi embarqué Cyriaque de Vulpillières. L’homme âgé d’une vingtaine d’années avait fait parler de lui en avril 2018 en entartant le député LFI Eric Coquerel. Depuis, la petite équipe s’est illustrée en défendant sur Twitter le négationniste Robert Faurisson ou en organisant une journée en hommage à Maurras.

Du côté du Craf, on assure qu'une procédure judiciaire a été intentée contre Hatem et sa bande au motif qu'ils usurperaient le nom d'Action française. «Ils sont trois, ils tiennent dans une cabine téléphonique. Par contre, ils ont une capacité de nuisance», grince Olivier Dejouy, cadre de l'association. Dans un même temps, cette scission offre l'occasion au Craf de tenter de rompre avec son image de groupuscule d'ultradroite. «La dénonciation du racisme et de l'antisémitisme fait partie des positions de l'Action française», tente François Bel-Ker, son secrétaire général. Il assure qu'Elie Hatem est écarté du mouvement depuis 2015, après sa participation aux municipales dans le IVe arrondissement de Paris sous les couleurs du Rassemblement bleu Marine, et ses prises de parole avec les intégristes catholiques de Civitas.

Des accusations en extrémisme que leur renvoie Hatem - «eux, ils sont devenus soraliens !» - qui rappelle que Bel-Ker et le Craf ont invité Soral à leur université d'été en 2013 et que l'un de ses dirigeants actuels a tenu conférence en 2015 pour Egalité et Réconciliation, l'association de l'idéologue antisémite. En outre, Hatem a continué à signer dans le journal de l'Action française, animé par le Craf, ainsi que sur leur site web, jusqu'en janvier 2018. Soit trois ans après sa mise à l'écart supposée.

Impayés

En réalité, cette scission pourrait avoir des motifs moins politiques : en toile de fond, un conflit financier autour de l'appartement du 10, rue Croix-des-Petits-Champs, le QG de l'Action française dans le Ier arrondissement de Paris. Marie-Gabrielle Pujo (détentrice de la marque l'Action française) réclame 20 000 euros d'arriérés au Craf, logé dans le bâtiment depuis 1998 par l'intermédiaire de sa société, Priep, qui éditait l'Action française 2000. «On a traîné des pieds, reconnaît Dejouy. On s'est rendu compte que c'était le tonneau des Danaïdes, que la Priep coûtait cher et on ne voulait tout simplement pas mettre d'argent dedans. C'était un gouffre.» Conséquence ? La mise en liquidation judiciaire de la société en janvier 2018. «Ils ont étouffé le journal», s'étrangle Hatem, par ailleurs avocat de Marie-Gabrielle Pujo, dont la réclamation d'impayés a été déboutée par un tribunal. Depuis, le Craf a lancé un nouveau journal, le Bien commun. Sans Elie Hatem.

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