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Avec Macron, l’Elysée décroche le poupon

A 34 ans, le secrétaire général adjoint de François Hollande est en première ligne sur les questions économiques.
par Grégoire Biseau
publié le 17 septembre 2012 à 22h16
(mis à jour le 26 août 2014 à 19h53)

C'est probablement le téléphone portable le plus saturé du Tout-Paris. Parler à Emmanuel Macron relève du parcours du combattant. Surtout ces derniers jours. A l'Elysée, ce jeune énarque, secrétaire général adjoint, est l'homme de la crise de l'euro et de tous les dossiers économiques. La loi organique et le traité européen, c'est lui. Le budget de 2013, c'est encore lui. «C'est notre interlocuteur à l'Elysée», confie un directeur de cabinet d'un des ministères à Bercy, qui assure échanger avec lui au moins trois à quatre fois par semaine, mais plutôt vers 1 heure ou 2 heures du matin. «C'est notre heure du thé à nous.» En ces temps de rigueur historique, le «petit Macron», comme on le surnomme, est devenu une pièce maîtresse dans le dispositif élyséen.

«Extraterrestre». C'est l'histoire de l'affolante ascension d'un jeune homme pressé. Celle d'un Julien Sorel d'un siècle où la haute finance est devenue l'antichambre du pouvoir politique. A 34 ans, Emmanuel Macron a déjà eu trois vies. A 25 ans, en tant qu'apprenti philosophe (thèse sur l'intérêt général, DEA sur Hegel, maîtrise sur Machiavel), il devient l'assistant de Paul Ricœur. Cinq ans plus tard, après un passage par l'ENA et l'Inspection des finances, il entre chez Rothschild & compagnie comme banquier d'affaires. Début 2012, il est nommé gérant et se retrouve à piloter l'un des plus gros deals de l'année (le rachat par Nestlé d'une filiale de Pfizer). Un deal à 9 milliards d'euros qui lui permet de devenir illico millionnaire… Quelques jours plus tard, il entre à l'Elysée au poste de secrétaire général adjoint. «Et il n'était pas question pour lui de venir en tant que simple conseiller», raconte un proche.

«C'est un extraterrestre», reconnaît, dans un mélange d'admiration et de dépit, un banquier parisien qui a travaillé avec lui. Pourtant, l'homme ne vient pas d'une lointaine planète : il est le produit de cette incorrigible élite française, au parcours aussi rectiligne qu'attendu. En hypokhâgne au lycée Henri-IV, il est assis à côté de Jean-Baptiste de Froment, qui deviendra le conseiller éducation de Nicolas Sarkozy. A l'ENA, il se fait griller la première place au concours de sortie par Sébastien Proto, parti pantoufler chez Rothschild avant de rejoindre l'équipe de campagne de Sarkozy. A l'Elysée, il reprend le même bureau qu'avait occupé lors du quinquennat précédent François Pérol, lui aussi passé par la case… Rothschild.

«Séduction». Philosophe, banquier et conseiller du prince. Le tout à 34 ans. C'est presque trop beau pour être sincère. «J'aimerais quand même bien lui demander comment on passe d'assistant de Paul Ricœur à banquier chez Rothschild ?» s'interroge un conseiller à l'Elysée. Réponse de l'intéressé : «J'ai adoré la philosophie, j'étais profondément heureux pendant cette période, mais j'ai vite éprouvé le besoin d'action, d'être au contact d'un certain quotidien.» Mais pourquoi la banque ? «De toute façon, je ne me voyais pas rester dix ou quinze ans dans une même entreprise.» C'est Serge Weinberg, fabiusien et ancien patron de PPR, qui lui souffle l'idée d'aller se frotter à la banque d'affaires. Gagner de l'argent vite a pesé dans la balance, Macron le reconnaît : «L'idée était aussi de me mettre à l'abri financièrement. J'ai pas de goûts de luxe, ni de gros besoins, mais j'accorde beaucoup de prix à mon indépendance.» Son copain le strauss-kahnien Stéphane Boujenah, banquier comme lui (à Santander, à Paris), confirme : «Pour lui, l'argent n'a jamais été une question identitaire.» En débarquant dans les valises de François Hollande, Macron accepte de diviser son salaire par dix. Sans douleur.

Belle gueule de garçon propre sur lui, il est d'un commerce délicieux. En toutes circonstances et avec tout le monde. Sans distinction de classe et avec un naturel désarmant. C'en est presque louche. «Il est automatiquement en mode séduction», confirme la députée socialiste Karine Berger, qui a travaillé avec lui à l'élaboration du programme de François Hollande. «Sa grande force : savoir immédiatement ce que veut de lui son interlocuteur. Et le lui fournir sur un plateau», confie un banquier. Sans arrogance, ni cuistrerie, mais au service d'une ambition «illimitée», selon le mot d'un ami.

Dans une belle unanimité, tout le monde loue les qualités du jeune homme : une intelligence maligne, une capacité de travail de bûcheron et un don à faire circuler ses cartes de visite «plus vite que son ombre». C'est ce qui a fait son succès fulgurant en tant que banquier d'affaires. Sitôt nommé à la commission Attali sur la croissance, Macron, pas encore banquier, s'entiche de Peter Brabeck, le big boss de Nestlé. Cinq ans plus tard, il fera le deal entre Nestlé et Pfizer. «Il a réussi à construire une relation quasi filiale avec Brabeck alors que le personnage n'est vraiment pas commode», admire un banquier de la place. Un proche, (un jaloux ?) : «Emmanuel est un grand séducteur de vieux.» Moins par tactique que par une étonnante disposition psychologique. Un ancien de Henri-IV se souvient : «Il avait une maturité incroyable. Il était copain avec tous les professeurs de prépa et très peu avec nous.» Un an auparavant, au lycée, il tombe amoureux de sa professeure de français, de vingt ans plus âgée et mère de famille. Elle deviendra sa femme. Un copain raconte : «Un jour, il m'a confié que les jeunes l'ennuyaient.» Ce fana d'opéra assume : «Je ne suis pas enfermé dans mon âge.»

En politique, Macron, encarté au PS dès 24 ans, ne perd pas son temps à refaire le monde avec des trentenaires. Il saute une génération. Et se met très vite au service de François Hollande. Il le croise une première fois en 2006 autour d'un verre chez l'ami de toujours, Jean-Pierre Jouyet. Immédiatement, le courant passe. Ils se revoient épisodiquement. Puis très régulièrement à partir de 2010. Il ne pourra pas être dit que le banquier de Rothschild est venu au secours de la victoire de Hollande. Pour lui, c'était le député de Tulle ou rien. «J'étais convaincu que c'était l'homme de la situation après cinq ans de sarkozysme. Il a la France dans sa chair.» Tous deux sont du même bois. Un proche de Macron : «Comme Hollande, Emmanuel est à la fois sympathique, peu clivant et d'une grande plasticité idéologique.» De gauche, il l'est. Mais une gauche plutôt libérale, à cheval sur le rétablissement des finances publiques et le libre jeu du marché. Quand il apprend que son candidat a dégainé sa proposition de taxer à 75% les super-riches, il manque de s'étouffer et lâche : «C'est Cuba sans le soleil !» «Attention, corrige un proche de Hollande, Macron n'est pas un ectoplasme qui étouffe tout. Il veut vraiment faire bouger les choses. D'ailleurs, il a toujours soutenu Montebourg dans ses dossiers industriels.»

Étincelles. Ses premières semaines à l'Elysée ont été difficiles. «Il a eu un peu de mal à s'y faire», confie un ami. Son attelage avec Philippe Léglise-Costa, le conseiller Europe avec lequel il gère la crise de la zone euro, ne fonctionne pas. Question de style et d'ego plus que de fond. A Matignon comme à Berlin, on s'inquiète de ce duo qui fait des étincelles. Au début de l'été, Macron demande à avoir la tutelle sur Léglise-Costa. Il perd l'arbitrage. Et doit ravaler sa frustration. Ce qui ne manque pas de surprendre ses proches: «S'il y a bien un truc qu'il déteste, c'est quand on vient lui marcher sur les pieds», se souvient un collègue de Rothschild.

Reste la question de son réel pouvoir au sein de la machine élyséenne. Personne, en tout cas, n'évoque un François Hollande sous influence. «Ce serait difficile, vu que le chef de l'Etat connaît par cœur les questions budgétaires», sourit un conseiller. «C'est quelqu'un qui aide le Président à prendre des décisions, à éclairer ses choix. Mais il défend assez peu de vraies positions politiques», dit un conseiller à l'Elysée. Karine Berger confirme : «Il n'a pas de vrai discours de conviction, mais il est très sensible au jeu de pouvoir entre les personnes.» Réponse de Macron : «Je n'aime pas être enfermé dans une case. J'aime comprendre et faire. Et les situations compliquées. Ici, j'ai la chance de participer à une action collective qui cherche à avoir du sens.» Un ami va droit au but : «Je suis sûr qu'au fond de lui, il rêve de devenir président de la République.»

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