L’élection présidentielle de 2017 a été marquée par une série de phénomènes inédits dans l’histoire politique française contemporaine : l’élimination au premier tour des deux grands partis – droite républicaine et Parti socialiste – qui se succédaient au pouvoir depuis des décennies ; l’émergence d’un homme, Emmanuel Macron, et d’un mouvement, En marche !, qui transgressent tous les codes traditionnels de la vie politique ; une personnalisation sans précédent du pouvoir exécutif… Nous avons demandé à l’historien Pierre Rosanvallon de replacer ces changements dans la longue durée de l’histoire du système démocratique.
Quels enseignements tirez-vous de l’élection d’Emmanuel Macron ?
Elle traduit indéniablement un triple basculement historique dans la structuration de la vie politique française. D’abord, elle s’insère dans une redéfinition des clivages organisés autour des notions de droite et de gauche. Ensuite, elle accomplit le mouvement engagé depuis plus d’un demi-siècle de personnalisation de la vie politique. Enfin, elle traduit l’émergence d’une nouvelle façon qu’a la société française de se représenter elle-même.
En revanche, deux évolutions sont beaucoup plus incertaines. Cette élection signifie-t-elle que le libéralisme sort de l’état de minorité qui est le sien en France ? Va-t-elle conduire à un nouveau mode de fonctionnement et d’organisation de la vie politique autour des partis, ou sans eux ?
Partons du clivage droite-gauche. Comment est-il devenu le cadre légitime et structurel de la vie politique française depuis plus d’un siècle, voire depuis la Révolution ?
On sait que les termes sont nés dès la Révolution, en fonction de la place prise par les uns ou les autres à gauche ou à droite du président de la Constituante. Mais si « gauche » et « droite » commencent à être employés à ce moment-là, l’idée d’un clivage droite-gauche n’a de sens véritable ni pendant la Révolution ni durant la première moitié du XIXe siècle.
Les clivages qui prévalaient alors – entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires, entre monarchistes et républicains – n’étaient pas au premier chef des clivages de classe. Ils s’organisaient sur la base de rapports à l’histoire de France, au sens même de la Révolution, ainsi qu’à la vision de l’ordre naturel des choses.
La première manifestation du clivage droite-gauche au sens où nous l’entendons aujourd’hui remonte à la fameuse élection législative de 1849. Un an auparavant, l’élection du printemps 1848 s’est jouée sur l’unanimité républicaine. En 1849, on voit se dessiner la carte de France des « rouges » et des « blancs », qui n’a pratiquement pas changé pendant plus d’un siècle, jusqu’à la fin des années 1970.
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