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Analyse

Virage à droite et mirages de gauche : la macronie fait le bilan

Si Macron avait réussi à convaincre certains électeurs progressistes il y a quatre ans, séduits par une approche censée dépasser les clivages partisans, il manque aujourd’hui d’arguments.
par Charlotte Chaffanjon
publié le 27 février 2021 à 9h54

Pendant la campagne de 2017, Emmanuel Macron corrigeait tout interlocuteur qui définissait sa stratégie comme celle du «ni droite ni gauche» : «Et de droite et de gauche», préférait-il dire, conscient que même si des électeurs désabusés pouvaient être tentés par sa nouvelle maison politique, chacun avait à cœur de retrouver une partie de ses racines. Or en débarquant dans le paysage, l’ambitieux était dépeint comme ancien banquier de chez Rothschild, secrétaire général adjoint d’un socialiste à l’Elysée, certes, mais artisan pour François Hollande du CICE, ce dispositif de soutien massif aux entreprises, sans contrepartie. Pour couronner le tout, il avait rythmé son passage au ministère de l’Economie de petites phrases irritantes, évoquant un jour «les femmes employées de Gad, pour beaucoup illettrées», expliquant un autre qu’«il faut des jeunes qui aient envie de devenir milliardaires».

C’est en cherchant à se différencier de son rival Manuel Valls qu’il commença à séduire une partie de la gauche, en clamant «son inconfort philosophique» avec la déchéance de nationalité envisagée à la suite des attentats de novembre 2015. Puis en se rendant à Berlin saluer Angela Merkel pour sa généreuse politique d’accueil en pleine crise migratoire, qu’il qualifiait de mélange de «lucidité, de courage et d’humanité admirable». Son adresse à la banlieue juste avant le premier tour, martelant son refus de «l’assignation à résidence» et sa volonté qu’on «arrête de stigmatiser les quartiers en n’en parlant que négativement», achevait, espérait-il, de rééquilibrer son portrait.

Choix des hommes et manque d’intuition

Le soir du premier tour, en tête juste devant Marine Le Pen, Emmanuel Macron implorait ainsi ceux qu’il n’avait pas réussi à convaincre : «Prenez la part du risque qui vous revient pour me rejoindre.»

Quatre ans plus tard, le RN est plus haut que jamais dans les sondages et l’hypothèse d’un match retour entre Macron et la candidate de l’extrême droite est crédible. «Si ce scénario se réalise, le comportement de l’électorat de gauche m’inquiète, explique à Libération Clément Beaune, ministre chargé des Affaires européennes et macroniste de la première heure. Les gens n’auront pas envie de faire un choix “contre”, parfois pour la troisième fois de leur vie depuis 2002. Je ne veux pas qu’on se résigne à la présence d’une extrême droite, qui se présente de manière plus chic ou plus sobre mais qui n’a pas changé au fond : brutalité, division, exclusion.» Mais que s’est-il passé pour en arriver là ?

Le choix des hommes, d’abord. Au fil du quinquennat se sont succédé à Matignon le juppéiste Philippe et le sarkozyste Castex. Darmanin a suivi une trajectoire éclair, du Budget à l’Intérieur. Le Maire tient la barre à Bercy depuis 2017. Les alliés PS et Modem ont été relégués aux seconds rôles et certaines promesses-symboles, telle la proportionnelle, n’ont pas été tenues. Et les généreux discours de Macron sur l’immigration, qui avait marqué sa différence ? Premier ministre de l’Intérieur du quinquennat, Gérard Collomb a vite évoqué le «benchmarking» (comparaison pour choisir le pays au système le plus avantageux) que feraient les migrants avant de venir en Europe. Quant à la loi dite «asile et immigration», elle a mécontenté tout le monde. Trop laxiste pour la droite, trop sévère pour la gauche.

Et puis, il y a l’intuition qui échappe. Lorsque la crise des gilets jaunes a explosé fin 2018, Macron n’a rien vu venir. Lui qui prônait «l’émancipation individuelle» n’avait pas perçu le malaise collectif qui couvait. Les week-ends de manifs se sont succédé comme les polémiques sur la répression policière. Le chef de l’Etat, qui n’avait pas les questions régaliennes dans son ADN, a tenté de répondre par un grand débat national qui n’a pas permis de rassurer suffisamment.

Fiertés et doutes

Dans la perspective de 2022, la macronie répète ses gammes pour corriger le tir. «Nous devons montrer plus clairement que nous n’avons pas perdu notre flotteur gauche et nous avons de quoi le prouver, poursuit Clément Beaune. Par exemple, nous sommes le pays d’Europe qui a accueilli le plus de réfugiés sauvés en mer depuis trois ans. Ce n’est pas du laxisme, c’est notre honneur et je l’assume. De même, le Président a été très clair sur la nécessité de faire plus contre les discriminations ou d’être intraitable avec les cas de violence policière.»

Le premier cercle présidentiel rappelle que la pandémie a prouvé que Macron était partisan d’un Etat fort et redistributif en cas de crise. «Nous sommes l’un des pays du monde qui redistribue le plus dans la crise. Le “quoi qu’il en coûte”, c’est l’exception française», estime un conseiller du Président. Et tous égrènent leurs fiertés, la PMA pour toutes, l’augmentation du minimum vieillesse, l’accès simplifié aux écoles de la haute fonction publique, le baromètre de l’action publique, la transition écologique…

Mais le patron de LREM, Stanislas Guérini, prévient aussi : «Vouloir faire “de gauche”, ça donne le quinquennat de François Hollande. Beaucoup de symboles, de lassitude et peu de résultats, ce qui finit par se transformer en colère. Pour moi, le danger le plus fort, c’est pas de ne pas faire de droite ou de gauche, mais de ne pas faire envie.»

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