Pour la philosophe belge Chantal Mouffe, professeur à l’université de Westminster, c’est le refus du conflit en politique qui explique le recul de la gauche. A force de chercher des voies de consensus, le Parti socialiste, comme plusieurs formations social-démocrates en Europe, en est venu à proposer des politiques de droite et y a perdu son identité. Proche du parti de la gauche radicale Podemos, Chantal Mouffe souhaite un retour à des identités politiques fortes afin de revitaliser le débat démocratique.
Quel regard portez-vous sur la gauche française ?
Elle est dans un état catastrophique. Peut-on encore dire du Parti socialiste qu’il est de gauche, alors que Hollande prône le social-libéralisme ? La situation du PS n’a malgré tout rien d’exceptionnel, il suffit d’examiner l’évolution de la vie politique en Europe pour s’en rendre compte. Partout, on a vu se développer la postpolitique, ce qui ne signifie pas que l’on a dépassé le politique, mais plutôt que l’on est incapable de penser politiquement. Il n’y a plus de conflit entre des projets de société divergents.
La démocratie requiert pourtant que de véritables alternatives soient offertes aux citoyens lorsqu’ils vont voter, qu’ils n’aient pas à trancher entre Pepsi-Cola et Coca-Cola. Différentes orientations politiques doivent s’opposer et proposer des programmes différents. Tous les partis sociaux-démocrates ont accepté qu’il n’y avait pas d’alternative à la mondialisation néolibérale, que lorsqu’ils accédaient au pouvoir la seule chose qu’ils pouvaient faire, c’était d’administrer de façon un peu plus humaine cette mondialisation.
« L’absence d’une véritable gauche crée les conditions pour l’émergence du populisme de droite, un autre phénomène désormais présent à travers tout le continent »
L’antagonisme droite-gauche servait traditionnellement à distinguer les deux camps. Mais cette frontière s’est effacée. Différents théoriciens, notamment le sociologue britannique Anthony Giddens et le sociologue allemand Ulrich Beck, ont présenté cette évolution comme un progrès. Il n’y a plus d’adversaire en politique, et cette deuxième modernité nous porte à chercher le consensus au centre.
Tony Blair et sa troisième voie ont incarné ce changement ; cet exemple a été suivi par Gerhard Schröder en Allemagne et s’est répandu à travers l’Europe. On l’a vu avec José Luis Rodriguez Zapatero en Espagne, avec le Pasok en Grèce, mais aussi dans les pays scandinaves. Cette absence d’une véritable gauche crée les conditions pour l’émergence du populisme de droite, un autre phénomène désormais présent à travers tout le continent.
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