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Mélenchon bannit Cocq : les enseignements très politiques d'une querelle entre Insoumis
François Cocq participant à une réunion politique pendant la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, en avril 2017.
Capture d'écran - "L'Insoumis", Gilles Perret.

Mélenchon bannit Cocq : les enseignements très politiques d'une querelle entre Insoumis

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Quelques semaines après le départ de Djordje Kuzmanovic, Jean-Luc Mélenchon s'en est violemment pris à l'un de ses compagnons de route historiques, tenant d'une ligne souverainiste et laïque, qualifié de "national-identitaire". Le signe d'un tournant politique pour la France insoumise ?

A la France insoumise (LFI), on s'est habitués aux soubresauts ces dernières semaines. Pourtant, le dernier cahot en a surpris beaucoup. C'est un tweet, brutal et inattendu, dégainé par Jean-Luc Mélenchon ce samedi 5 janvier : "Inacceptable. CNews déclare porte-parole Insoumis un nationaliste qui a été banni du mouvement comme François Cocq ! Assez de manipulations". Dans le petit monde de LFI, ce message a la valeur d'un coup de tonnerre. Et vient ajouter de la confusion à une situation déjà passablement floue. Explications.

Peu connu du grand public, François Cocq n'en est pas moins un compagnon de route historique de Jean-Luc Mélenchon, avec lequel il a participé à la fondation du Parti de gauche (PG) en 2008. Il a ensuite occupé de nombreuses fonctions de direction dans cette formation : secrétaire national à l'éducation, porte-parole de la campagne contre la réforme territoriale, puis à partir de 2015 président de l'association des élus du PG. Elu municipal à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) depuis 2008, ce quadragénaire au léger accent du sud est surtout l'un des moteurs de la "stratégie populiste" adoptée par Jean-Luc Mélenchon. Il est l'un de ceux qui a le plus poussé le tribun à abandonner les références à la gauche et à son union, pour leur préférer l'objectif de "fédérer le peuple".

A cette orientation, qui a apporté un franc succès à Jean-Luc Mélenchon lors de la campagne présidentielle 2017, François Cocq adjoint deux piliers de sa ligne politique : le souverainisme et la défense résolue de la laïcité, des positions sur lesquelles cet enseignant ne transige pas, quitte à paraître rigide aux yeux de ses détracteurs au sein de LFI. En août, il avait publié un long texte sur son blog dans lequel il critiquait "le basculement stratégique" en cours dans le mouvement, s'inquiétant d'un retour à une tentative d'union de la gauche.

Les souverainistes et laïques en péril à la France insoumise

Ces dernières semaines, les Insoumis partisans les plus affirmés de la ligne populiste sont en grande difficulté : fin novembre, l'opaque comité électoral chargé de constituer la liste de LFI pour les élections européennes a exclu Djordje Kuzmanovic et François Cocq. Justifications fournies : le premier aurait défendu la "hiérarchisation des luttes", en mettant trop en avant le combat social, le second aurait ouvertement critiqué la stratégie de LFI en s'épanchant dans Le Figaro. En réalité, tout indique que c'est bien la ligne politique incarnée par ces deux historiques de LFI qui est à l'origine de cette mise à l'écart, précipitée par leur refus de reculer sur ce qui constitue d'après eux la clé du succès de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle. Quelques jours après son exclusion de la liste des européennes, Djordje Kuzmanovic quittait LFI avec fracas en l'annonçant dans une tribune à Marianne.

Quant à François Cocq, son sort était jusqu'à présent plus flou : comme le lui avait annoncé Manuel Bompard, coordinateur de la campagne des européennes et homme-clé de LFI, il reprenait sa "liberté de parole" sans être formellement exclu. D'après nos informations, le quadragénaire avait en outre cessé de tenir sa discussion politique hebdomadaire avec Jean-Luc Mélenchon, après quelques textos salés échangés avec le patron des Insoumis. Signe de sa mise à l'écart, il n'avait même pas été convié à la convention de Bordeaux début décembre, et ne participait plus aux réunions des cadres LFI.

Néanmoins, François Cocq continuait de soutenir la France insoumise, notamment sur les plateaux télé. Le tweet cinglant de Jean-Luc Mélenchon constitue donc une rupture violente. Via sa page Facebook, Cocq a donné un éclairage supplémentaire sur l'épisode, riche d'enseignements. Déclarant ressentir "beaucoup d'incompréhension et de perplexité", l'ex-cadre du PG affirme avoir reçu un message de Jean-Luc Mélenchon, une heure avant le fameux tweet. Dans ce texto, le leader Insoumis aurait annoncé à Cocq avoir décidé de le désavouer publiquement car ce dernier parlerait "au nom de la tendance Kuzmanovic : national-identitaire". Une "mise à l'index" que François Cocq estime "brutale, violente, diffamatoire, et pour tout dire injurieuse", tout en refusant de polémiquer davantage : "(...) Notre courant de pensée a suffisamment à faire pour ne pas créer ses propres histoires en son sein pour s’auto-affaiblir", écrit l'enseignant.

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François Cocq, un "national-identitaire" ?

C'est le moins que l'on puisse dire. Car au-delà du fait que l'ancien fidèle de Jean-Luc Mélenchon ait appris son exclusion par un tweet de son mentor (et de ce que cela révèle sur le niveau de démocratie interne à LFI), la connotation politique du message reçu par Cocq est lourde. Les termes utilisés par Jean-Luc Mélenchon pour caractériser la "tendance Kuzmanovic, national-identitaire", semblent faire écho au souverainisme et à l'attachement à la laïcité de l'ancien cadre du PG... positions elles-mêmes ardemment défendues par Mélenchon lui-même.

Au reste, il paraît fort excessif d'accoler de tels qualificatifs à François Cocq. Dans son livre Alerte à la souveraineté européenne, paru fin 2018, l'enseignant à Champigny se livre à une critique de l'Union européenne qui s'inscrit dans la lignée classique du souverainisme de gauche : "Le dogme du libéralisme financier de l'UE, rejeté par les peuples, en est réduit à s'imposer par la force à leur décision, écrit-il. Apparaissent alors des blocages électoraux et institutionnels qui eux-mêmes génèrent un repli identitaire qui se traduit là par une arrivée au pouvoir de l'extrême droite, ailleurs par une explosion des cadres nationaux." Et lorsque Cocq affirme que "la souveraineté populaire est indissociablement liée à la souveraineté nationale", il s'inscrit dans les pas de Jean-Jacques Rousseau, bien loin du nationalisme.

Quant à l'adjectif "identitaire", il est là encore difficile d'en trouver trace dans les écrits et déclarations de François Cocq. L'ouvrage qu'il a co-écrit, La laïcité pour 2017 et au-delà, présente justement la laïcité républicaine comme un moyen de trouver "une sortie de crise pacifique à la crise identitaire qui ronge notre pays". En juillet dernier, Cocq s'indignait même sur son blog que l'Ifop et Le Figaro utilisent l'étude de prénoms pour examiner le vote des "potentiels musulmans" : "Plus rien ne semble choquer ni émouvoir quand bien même les plus putrides relents de racisme et de discrimination s’affichent ostensiblement dans les pages d’un grand quotidien national", protestait-il. Pas vraiment typique d'un militant identitaire.

Victoire de la ligne "Ensemble" ?

Ce décalage entre les positions de François Cocq et les qualifications que lui prête Jean-Luc Mélenchon a étonné de nombreux militants fidèles de LFI. Le tweet du chef de file Insoumis est ainsi truffé de réponses d'activistes désemparés devant la mise au ban de François Cocq. Est-il le signe d'un tournant politique ? Beaucoup, parmi le courant souverainiste et laïque, le pensent et pointent du doigt l'influence de leurs opposants internes, partisans d'une union de la gauche, qui assimilent fréquemment le souverainisme au nationalisme et les défenseurs de la laïcité à des militants identitaires... exactement comme vient de le faire Jean-Luc Mélenchon, qui n'avait pourtant pas l'habitude de ce type de réflexes politiques.

L'influence du mouvement Ensemble, des députées Danièle Obono et Clémentine Autain, mais également de certains militants comme le jeune Taha Bouhafs (qui s'est réjoui du bannissement de Cocq en tweetant : "dégagez les fachos") est dénoncée par les tenants de la stratégie populiste, sans qu'elle soit évidente à démontrer.

En effet, en adoubant Eric Drouet et le mouvement des gilets jaunes au moment du Réveillon, Jean-Luc Mélenchon avait au contraire donné des gages au courant de Djordje Kuzmanovic et François Cocq. Ceci alors que la liste des européennes, menée par l'ancienne présidente d'Oxfam Manon Aubry, avait été interprétée comme un abandon momentané de la stratégie populiste... En clair, rien n'est clair : la France insoumise joue une partition confuse, et Jean-Luc Mélenchon est le seul à donner le "la". Seule certitude, le courant populiste, souverainiste et laïque est singulièrement marginalisé par la mise à l'écart de ses deux figures majeures.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne