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François Cocq : "Dans cette campagne, Fabien Roussel porte une conviction populaire"
La candidature Roussel a ce mérite d’engager sans attendre cet immense chantier de la reconstruction en permettant à la gauche de se réapproprier ses principes fondamentaux pour que demain ne soit pas le fruit des dérives d’aujourd’hui.
Samuel Boivin / NurPhoto / NurPhoto via AFP

François Cocq : "Dans cette campagne, Fabien Roussel porte une conviction populaire"

Tribune

Par François Cocq

Publié le

Dans une tribune, François Cocq, enseignant, essayiste et membre du collectif « Les Constituants », explique pourquoi après avoir soutenu Arnaud Montebourg, il se reporte sur la candidature communiste de Fabien Roussel pour la présidentielle.

À deux mois à peine du premier tour de l’élection présidentielle, l’autoritaro-libéralisme présidentiel s’avance en terrain non pas conquis – loin de là, nous sommes le peuple français ! – mais désormais largement dégagé. Face à lui, les forces réactionnaires deviennent la caricature d’elles-mêmes dans une surenchère permanente. Après s’être accommodées en 2017 de la dichotomie imposée par Emmanuel Macron entre « progressistes » et « nationalistes », elles partagent désormais avec lui la stratégie du socle qui consiste à dresser les Français les uns contre les autres à tout propos, que ce soit les vaccins le passe sanitaire, l'identité ou la religion, pour tenter d’asseoir des majorités électorales qui assument d’être minoritaires dans la société.

Quant à la gauche, aucun de ses électeurs potentiels ne pense raisonnablement que la victoire puisse être au bout du chemin électoral en avril 2022. Face au socle de classe présidentiel, les oppositions institutionnelles apparaissent ainsi désespérément figées alors que les Français ont passé le quinquennat à faire éclore des bulles majoritaires : contre la politique fiscale d’Emmanuel Macron d’abord, puis en soutien aux revendications démocratiques et de reconnaissance sociale des gilets jaunes en 2018, sur les retraites en 2019, contre l’inertie sanitaire du gouvernement au printemps 2020, ou encore contre la gestion de crise depuis…

« Si la campagne Montebourg a été un échec, ces thèmes ont cependant rencontré un accueil favorable dans le pays. »

La gauche est au premier rang de cet échec en s’étant coupée de la sève populaire. Repliée sur son nombril, elle s’est enfermée dans des débats de niche sur sa propre identité. Tout au long de sa propre histoire, c’est pourtant en se tournant vers la France, en étant l’élément dynamique de la mobilisation populaire, qu’elle a su faire vivre l’universalisme républicain et permis de faire grandir auprès de tous la quête de l’émancipation individuelle et collective.

Enfoncée depuis trop longtemps idéologiquement, désarmée culturellement, lessivée par les renoncements de ceux qui ont agi au gouvernement en son nom, la gauche se trouve réduite à un quart de l’électorat. Elle ne peut pour l’heure plus prétendre représenter une perspective majoritaire. Il faut arrêter les fables et cesser de faire croire qu’un socle de 10 %, 12 % ou même 15 % du corps électoral puisse ensuite engendrer une dynamique rassemblant plus de la moitié des électeurs alors même que la gauche est traversée par des dissensions majeures, mais aussi que le sens commun de la période ne lui est pas favorable. Dans cette configuration, pas même une tortue, fût-elle électoralement sagace, ne peut passer dans un trou de souris. La faute à la rigidité de la carapace peut-être…

Il y a quelques mois, la candidature d’Arnaud Montebourg reprenait d’une certaine façon le fil cassé de la campagne « L’avenir en commun » de 2017. Cette candidature avait le mérite de déborder le seul cadre de la gauche pour s’adresser à cette majorité populaire en gestation. Elle cherchait à élargir le spectre de la gauche pour remettre au cœur de notre être collectif la reprise de contrôle citoyen de la décision publique, une souveraineté populaire inaliénable, et impulser des ruptures ordonnées pour que chaque vie retrouve la force de sa dignité en transformant les rapports économiques et sociaux. Si la campagne Montebourg a été un échec – et, en ayant été partie prenante, j’assume ma part de celui-ci – ces thèmes ont cependant rencontré un accueil favorable dans le pays.

« Fabien Roussel converge sur bien des points avec ce que mettait en avant Arnaud Montebourg. »

Aujourd’hui que cette candidature a été retirée malgré la pertinence persistante des idées qu’elle véhiculait, je note que les propos et propositions de Fabien Roussel convergent sur bien des points avec ce que mettait en avant Arnaud Montebourg. Aux côtés de l’ambition de transformation sociale légitimement attendue, on retrouve une même aspiration à la reprise en main de notre souveraineté démocratique, la laïcité sans transiger, une clarification bienvenue sur l’Union européenne pour faire primer le droit français sur les règles de Bruxelles, un même choix de réindustrialiser le pays pour retrouver notre indépendance sur les biens nécessaires, un État stratège, une même volonté de réinvestir le champ du régalien tant sur la sécurité que sur l’immigration ou la citoyenneté.

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Plus inattendu, la candidature de Fabien Roussel fait le choix de dépasser le cadre partidaire dont elle est issue. Lui aussi s’adresse désormais aux Français sans les assigner à résidence politique, en ayant compris que l’axe gauche-droite, s’il n’a pas disparu, ne suffit plus à lui seul aux électeurs pour se définir politiquement : Fabien Roussel est en cela un émetteur populaire, qui porte dans cette campagne une conviction populaire. Il parle aux citoyens et non aux militants avec l’ambition de refaire corps politique. Ce faisant, c’est tout ce travail, délaissé par d’autres, qui est remis sur l’établi pour aller chercher les abstentionnistes et ramener dans le camp de l’émancipation sociale ceux qui, récemment ou depuis trop longtemps, ont, par colère ou faute de réponses à leurs attentes, cherché le salut électoral à l’extrême droite.

Alors, bien sûr, la solution pourrait consister en se retirant sur l’Aventin, comme c’était d’ailleurs une tentation légitime en début de campagne, en considérant que rien ne peut sortir de cette séquence et que les idées qui pourront y être portées en ressortiront nécessairement abîmées. Mais il faut aussi admettre que la présidentielle, en tant qu’élection structurante sous la Ve République, est un temps de politisation du grand nombre et qu’il faut donc utiliser les deux mois utiles qui sont devant nous pour clarifier, devant les Français, les lignes de force au sein de la gauche. La candidature Roussel a ce mérite d’engager sans attendre cet immense chantier de la reconstruction en permettant à la gauche de se réapproprier ses principes fondamentaux pour que demain ne soit pas le fruit des dérives d’aujourd’hui.

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Disons-le aussi sans détour : une telle candidature n’est jamais qu’un outil. Elle n’engage ceux qui comme moi y voient une utilité sociale, politique et démocratique, que sur la base de leurs propres convictions et analyses sans pour autant avoir à être les dépositaires de l’intégralité de son contenu. De même, nul n’est dupe du fait qu’à la présidentielle succéderont les législatives et que les appareils feront des choix dont les gens comme moi se défient depuis des années. L’appui que je porte aujourd’hui à la candidature de Fabien Roussel ne vaut donc bien sûr ni adhésion à son parti, ni ne déborde le temps de cette présidentielle.

Mais à défaut de penser pouvoir à ce stade ouvrir une perspective majoritaire, la tâche politique de la période pour ceux qui, sans jamais dévier, œuvrent dans les cadres les plus adaptés pour la République sociale, consiste à appuyer le réancrage populaire du camp du progrès démocratique et social et les clarifications républicaines mises à l’ordre du jour. Fabien Roussel en prend sa part. Il convient dès lors d’accompagner le souffle populaire qu’il parvient aujourd’hui à impulser, pour que renaisse l’espoir des jours heureux.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne