Reportage

Au PS, les militants sont revenus de Maastricht. Entre la ligne Jospin et l'amendement de la Gauche socialiste, les sections cherchent l'Europe sociale.

par Gilbert Laval, Renaud DELY et Judith PERRIGNON
publié le 27 mars 1996 à 2h12

Lomme, Toulouse, Marcoussis, envoyés spéciaux

Les militants socialistes ont débattu, ces deux dernières semaines, de l'Europe. Ils ont approuvé le texte de Lionel Jospin qui valide Maastricht tout en réclamant une Europe plus sociale. Mais ils ont aussi été près de 40% à voter en faveur d'un amendement de la Gauche socialiste qui veut mettre à bas le traité ratifié en 1992. Il apparaît ainsi que la base du PS rechigne de plus en plus devant la construction européenne. Vérification dans le Nord, en Haute-Garonne et dans l'Essonne.

Lomme: «A la fin, on comprend plus rien» Le buste doré de Jean Jaurès est toujours là. Ce soir, les militants de la section de Lomme, ville de 28.000 habitants de la banlieue lilloise, sont venus voter le texte sur l'Europe arrivé de Paris. C'est Maurice qui commence. «Je suis curieux de savoir combien vous êtes à avoir lu le bazar jusqu'au bout. Moi, j'étais dans mon fauteuil avec une canette. Au début, on se dit: c'est bien. A la fin, on comprend plus rien du tout.»

C'est une salle ouvrière. Avec des jeunes qui ne disent rien et des retraités qui ont pris le temps de lire. C'est une grosse section. Presque 400 militants. Ce soir, ils sont à peine 80. «Parce que c'est un lundi», s'excuse mystérieusement un militant. A moins que le débat des hautes sphères ne soit plus tout à fait le leur. Les mots volent tels des Ovni: «Critères de convergences», «monnaie unique», «Europe politique», «fédéralisme». Un seul, ou plutôt deux, accrochent et résonnent. Parce qu'ici, il veut manifestement dire quelques chose: l'«Europe sociale».

Certains ont l'air de ne plus y croire. Comme s'il y avait là une profonde contradiction. Bernard se lève, sa casquette à la main: «L'Europe n'a fait qu'aggraver la situation. Les retraites sont massacrées. On est en train de démolir les services publics. Si le traité de Maastricht c'était pour en arriver là, faut le foutre en l'air.» Les militants n'ont pas oublié le référendum sur Maastricht. Il s'en souviennent comme d'un camouflet. Eux, ont fait campagne pour le oui. 52,73% des habitants de Lomme ont dit non.

Mais le secrétaire de section rappelle à l'ordre son petit monde. Il met toute son autorité à démontrer combien la monnaie unique est indispensable pour les emplois de la région. Un militant fait aussi remarquer: «Mes enfants, c'est bien la première génération qui ne se fait pas casser la gueule.» Il sait pourtant que ce n'est plus un argument suffisant: «Je sais que c'est pas assez. Il faut une Europe où on réduit les inégalités comme c'est marqué dans le texte du parti.»

Alors, il y a bien cet amendement de la Gauche socialiste qui en séduit plus d'un tant il est radical et social. Le secrétaire de section prévient: «Certains ont cru devoir revenir à leur clan, à leurs courants. Ils ont voulu se compter.» Quand passe l'urne, taillée dans un carton de supermarché, chacun remplit scrupuleusement son bulletin de vote. Résultat, sur 78 votants, le texte obtient 69 voix, l'amendement 8.

Toulouse: «mener la bataille sociale» Les militants de la deuxième section PS de Toulouse peuvent se taper deux heures de débat sur «l'Europe et la mondialisation» et ne pas tout savoir du détail de l'affaire: «Au fait, quelle est la position du PS sur la monnaie unique?», interroge l'un. Maastricht les divise encore. Jean-Pierre Neuman, un des signataires de l'amendement de la Gauche socialiste, explique que le traité pèche par trop d'économisme au détriment d'une défense des droits sociaux. «Il en va de notre crédibilité si l'on aspire à diriger à nouveau les affaires en France», dit-il. Rumeur approbatrice. Mais la contradiction ne tarde pas.

«Remettre Maastricht en cause serait une erreur politique majeure, contre-attaque aussitôt Joseph. Le traité a été voté!» La rédaction d'un nouveau traité équivaudrait à porter «un coup d'arrêt au processus en cours de construction communautaire», ajoute François. Mais les deux camps se réconcilient sans peine sur le dos de la Grande-Bretagne, jugée trop prompte à dégainer son veto chaque fois que le mot «social» est prononcé. «Il faudra d'ailleurs faire un jour le bilan de la droite vis-à-vis de l'Europe», affirme Pierre qui déplore que le texte signé par Lionel Jospin fasse l'impasse sur le sujet. Voilà un autre point d'accord: «Mener fermement la bataille sociale» contre les militants du «libéralisme à la Adam Smith» reviendrait, selon tous les protagonistes, à «donner du sens à l'Europe».Sur les 17 votants du soir, 2 seulement votent contre le texte Jospin. Mais 8 des 15 supporters du premier secrétaire ont aussi mis dans l'urne l'amendement de la Gauche socialiste.

Marcoussis: «Etre écoutés, pas dépassés» «On s'est fait avoir une fois, ils ne nous referont pas le coup!» Claude Béasse, la cinquantaine, est imprimeur, socialiste, et mécontent. «Pour Maastricht, j'en ai distribué des tracts, j'en ai collé des affiches, j'y ai cru et voilà le résultat...» Le résultat: une «Europe libérale» livrée aux «requins de la finance». Dans la salle de la mairie de Marcoussis, petite commune de l'Essonne de 7.000 habitants passée à gauche en juin dernier, la quinzaine de militants PS approuvent. Brigitte essaie bien de glisser qu'«on ne peut pas réclamer l'impossible sans nos partenaires étrangers. Il y a quand même des choses qui nous dépassent». «Je ne veux pas être dépassé, je veux être écouté, tonne Claude. Sinon je me fâche pour de bon et je rends ma carte.» Et tous de réclamer une Europe sociale qui «garantisse les acquis».

Dans ce fief de la Gauche socialiste, l'amendement présenté par le triumvirat Dray-Mélenchon-Lienemann pour «tourner la page de Maastricht» fait l'unanimité. «C'est stratégique, explique posément le premier secrétaire fédéral Olivier Thomas. Mettons la barre très haut avant de négocier un nouveau traité.» «D'autant qu'avec tous nos copains du genre Rocard ou Fabius, tu peux être sûr que la barre va descendre», l'interrompt Claude. Avant de passer au vote, Olivier Thomas rappelle que, pour adopter l'amendement de la Gauche socialiste, les militants doivent préalablement approuver le texte de la direction. Certains rechignent mais tous s'exécutent. «C'est mieux. Comme ça tout le monde trouvera ce qu'il souhaite. On pourra piocher dans les deux textes», remarque, consensuel, Christian. «Au fait, prévient Claude. Si on revient au pouvoir, faudra être attentif à appliquer tout ça. Pas comme la dernière fois...».

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