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Interview

«Maastricht, c'est l'échec sur toute la ligne»Le sénateur Jean-Luc Mélenchon se prononce pour une révision de la vision européenne des socialistes.

par Judith PERRIGNON
publié le 16 février 1996 à 1h11

Alors que le PS entame un débat sur l'Europe, Jean-Luc Mélenchon,

sénateur de l'Essonne, plaide, avec ses amis de la Gauche socialiste, aile gauche du parti, pour un nouveau traité européen. Il s'en explique.

«Maastricht, c'est fini», écrivez-vous. Qu'est-ce que ça veut dire?

Il est derrière nous, le traité de Maastricht. C'est l'échec sur toute la ligne. Nous avons voulu l'Europe, la monnaie unique (indispensable pour faire face à la puissance de la finance internationale), nous l'avons voulu pour protéger les acquis sociaux, culturels, politiques de notre modèle de civilisation. Or la preuve est faite que, pour arriver à cette monnaie unique, pour remplir les critères de convergences, il faut précisément démanteler tout ce pourquoi on avait construit le système.

C'est le capital financier transnational qui rythme le bal. Dorénavant, l'intégration économique ne produit plus mécaniquement de l'intégration politique comme au XIXe siècle: c'est-à-dire frontière, loi, gouvernement ou Assemblée nationale. Et ça change tout. Jusqu'à présent, les socialistes ont vécu dans l'idée que l'intégration économique, c'était le point de passage nécessaire et suffisant. Ce n'est pas le cas.

Donc, plus question de modifier le calendrier ou les critères de convergences, vous plaidez pour un nouveau traité...

Le moment est venu de passer à un nouveau traité qui inverse les priorités. C'est-à-dire qui parte du social et de la nécessité de la construction politique. On ne peut pas faire la monnaie unique sans avoir ficelé un certain nombre de critères sociaux. Par exemple, la monnaie unique sans salaire minimum garanti unique, c'est absurde. C'est comme si le Smic était à 3.000 francs à Marseille et à 6.000 à Paris.

Il y a aussi urgence à reparler d'intégration politique. L'élargissement à dix-huit a été acté, de même que l'élargissement progressif à l'ensemble des pays de l'Europe orientale. De facto, ce qui se met en place, c'est un grand marché unique, point final. Si on reste sur cette pente-là, dans quinze ans, nous n'aurons plus aucun moyen de décider de notre sort.

Votre Europe risque ne pas être très consensuelle...

Il faut reprendre les problèmes par la politique, par les rapports de force. L'Europe s'est construite par un accord entre les démocrates-chrétiens et les sociaux-démocrates. J'ai le sentiment que les démocrates-chrétiens savent où ils veulent aller, ils sont de plus en plus sous l'emprise de l'idéologie libérale. En revanche, on ne voit plus du tout de quel côté les socialistes essaient de tirer l'Europe. Les partis socialistes européens ont fait un pas vers leur intégration réciproque, puisque nous sommes passés d'une union à un parti en tant que tel, le Parti socialiste européen (1), mais ce parti est absolument impuissant à proposer quelque coordination que ce soit.

Les socialistes français, sauront-ils, à l'issue de leur réflexion, se montrer plus clair dans leur projet européen?

Certains (Jacques Delors, ndlr) proposent un gouvernement économique à côté de la banque centrale indépendante, je trouve que, pour un socialiste, c'est une sacrée reculade idéologique. Qu'est-ce qu'un gouvernement économique à la fin du XXe siècle qui ne serait pas en même temps un gouvernement du social, du culturel et du reste? Et qu'est-ce qu'un gouvernement qui n'est pas contrôlé par une Assemblée?

Nous nous battons pour être au pouvoir en 1998, soit un an avant la mise en place de la monnaie unique. Est-ce que le discours des socialistes de retour au pouvoir va être: compte tenu de ce qui a déjà été signé par la droite auparavant, on n'y peut rien et on laisse aller? On se retrouverait quelques années en arrière: pleins de bonnes intentions, mais sans aucun moyen. Les socialistes ne peuvent avoir pour seul mot d'ordre de s'adapter, de plaider le moindre mal sur le plan social. Parce que s'adapter, c'est régresser. C'est à coup sûr passer à côté de l'objectif principal.

Vous restez marginal au sein du PS. Vous n'avez pas l'air très optimiste sur l'issue du débat au sein de votre parti...

Je ne préjuge de rien. Il y a une sérieuse prise de conscience au sein du PS que ça ne peut pas continuer comme ça. Il y a aussi un saut de génération. Pour la génération précédente, la motivation essentielle de l'Europe, c'était: non à la guerre. Les gens de mon âge l'ont complètement intégrée. Notre problème à nous, c'est plutôt: l'Europe, pour quoi faire?.

(1) Le PSE a été créé en novembre 1992 à l'initiative de 19 partis socialistes, sociaux-démocrates et ex-communistes des pays membres de l'Union européenne. Il compte 221 élus au Parlement de Strasbourg.

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