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Pourquoi la gauche tout entière est orpheline de Michel Rocard

Par Françoise Fressoz (Blog Le 19 heures)

Publié le 04 juillet 2016 à 11h31

Temps de Lecture 3 min.

Incroyable ­! A les entendre tous ces derniers jours, la gauche, la vraie gauche, serait orpheline depuis la disparition de Michel Rocard samedi 2 juillet. De Manuel Valls à Jean-Luc Mélenchon en passant par François Hollande et Martine Aubry, tous déplorent la disparition d'une « grande figure de la gauche ».

Dans ce lamento, une mention spéciale doit être accordée au « candidat de la France insoumise » qui, dans un tweet, écrit : « un éclaireur nous a quittés. Sa vie est une leçon. À chacun de la méditer. […] En ce temps-là, tous les socialistes étaient de gauche, même très différemment. »

En réalité, Michel Rocard, héraut de la deuxième gauche, a subi durant une bonne partie de sa vie politique un procès en légitimité d'une rare violence qui n'est pas sans rappeler celui qu'essuie aujourd'hui la gauche gouvernementale et plus particulièrement Manuel Valls qui se présente volontiers comme son héritier.

Poperen l'appelait « Rocard d'Estaing ». Fabius lui déniait l'étiquette socialiste, en lui lançant en pleine figure lors du congrès de Metz (1979) : « entre le plan et le marché, il y a le socialisme. » Chevènement lui reprochait d'avoir propagé les idées néo-libérales en France. Lorsqu'il devint premier ministre en 1988, Dray et Mélenchon attisèrent contre lui la colère lycéenne dans l'espoir de le faire chuter, tandis qu'exaspérée, la garde rapprochée de François Mitterrand soupirait : « Rocard n'est pas courageux, il ne fait rien. » En réalité, il avait fait le RMI et la CSG.

Utopiste invétéré

Hors de la maison socialiste, ce ne fut pas rose non plus. Lorsqu'à Montlouis en février 1993, Michel Rocard lança le « big bang » – un appel à dépasser le parti socialiste pour fédérer « tout ce que l'écologie compte de réformateur, tout ce que le centrisme compte de fidèle à une tradition sociale, tout ce que le communisme compte de véritablement rénovateur » –, le quotidien communiste L'Humanité en fit le fossoyeur de la gauche, l'incarnation du « renoncement », le représentant du « faux parler vrai ».

Le pire, c'est qu'ils sont aujourd'hui tous sincères dans leur hommage à Rocard. La première comme la deuxième gauche, réconciliées sur son cercueil. Car l'homme du « parler vrai », celui qui combattait « les folies » du début du premier septennat Mitterrand avait pour lui d'être un utopiste invétéré. L'ancien patron du PSU fourmillait d'idées et gardait un idéal. Mieux, jusqu'à ce que la maladie le terrasse à l'âge de 85 ans, il vivait quotidiennement son idéal à travers toutes sortes de combats en faveur de l'écologie, de la biodiversité et du socialisme, qui était d'abord pour lui un combat pour l'émancipation.

« Le véritable socialisme, c'est l'accès pour tous aux activités de l'esprit », confiait- il dans sa dernière interview au journal Le Point, le 23 juin, en précisant : « Dans un pays où l'on ne sait plus ce qu'est la droite et la gauche, le vrai signal de gauche […] consiste à donner à l'homme plus de temps libre pour la culture, les choses de l'esprit, le bénévolat associatif, etc. Le capitalisme doit ménager cet espace. C'est le modèle du socialisme démocratique à la scandinave. »

Pas d'héritiers

Cette volonté obstinée de changer le monde jusqu'à son dernier jour l'a libéré de tous les mauvais procès instruits contre lui. Sa vie tout entière avec ses réussites et ses ratés aura prouvé que Rocard était authentiquement socialiste. Plus personne ne lui conteste aujourd'hui l'étiquette. Par contraste, ceux qui se revendiquent de lui, à l'épreuve du gouvernement, apparaissent fades, asséchés. Valls invoque « le devoir de vérité », mais ne parvient pas à démontrer au reste de son camp en quoi il est socialiste, car le social est son angle mort.

Macron, qui se dit « profondément marqué» par Rocard, « homme du parler du vrai» mais aussi « homme d'action», a maladroitement coupé le fil en se proclamant « ni de gauche ni de droite » lorsqu'il a lancé son mouvement « En Marche ». Depuis, il peine à rectifier le tir.

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Sur l'assèchement de la gauche, Rocard avait la même analyse que Delors : les politiques aujourd'hui sont victimes du « court-termisme », de la tyrannie de l'instant, soumis à la pression grandissante d'une presse qui joue sur les émotions au lieu de servir la raison. Privés de vision, ils ressemblent à des canards sans tête. D'où sa distance à  l'égard de François Hollande, décrit comme « un enfant des médias », et sa réticence à adouber Emmanuel Macron et Manuel Valls, « formés dans un parti amputé » donc « loin de l'histoire ».

Le testament était cruel, car c'était une façon de dire qu'à ce jour il n'y a pas d'héritiers. Juste des orphelins. L'ultime démonstration du «parler vrai ». 

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