22avr 05



Intervention comme grand témoin sur le thème « Le Parti socialiste et la société »

J’ai écouté ces présentations avec le même intérêt que vous tous. Souvenons nous que ceux qui étudient le socialisme et ceux qui le vivent et le font vivre ne sont pas sur le même registre. Nous, tournés vers l’action, ne devons pas perdre de vue ce qui rend notre histoire compréhensible. Notre fil rouge c’est le cri de la conscience indignée par l’humiliation et l’oppression… Le socialisme se construit en marchant sur les lignes de failles de la société. A l’endroit où l’oppression se fait jour, le socialisme commence. Nous sommes d’abord le parti des révoltés. Il ne peut y avoir représentation des révoltés dans le parti s’il n’est plus celui des révoltés. Si nous consentons à l’ordre établi, nous ne pouvons pas espérer regrouper et organiser ceux qui n’y consentent pas.

 écouter certains exposés, j’ai le sentiment que le discours des socialistes est parfois atteint d’une forme de sociologisme : on voudrait réduire toute les motivations de l’action humaine à la dimension sociale. Celle-ci est naturellement fondatrice. C’est bien dans la répartition de la production et des richesses qu’est la matrice de toutes les injustices. En même temps, aucun fait social ne se donne à voir en tant que tel, à nu. Ils se donnent tous à voir en tant que fait culturel, fait humain, comme quelque chose qui a été intériorisé, incorporé, qui est un fait d’évidence que seule la prise de conscience politique remet à distance pour en faire une donnée qui peut être soumise a la critique. Il faut donc avoir les moyens de penser son opposition à la société car ce n’est pas un acquis spontané de la position sociale. C’est pourquoi tous ceux qui pensent qu’il existe un lien mécanique et spontané entre la misère et l’adhésion au socialisme se trompent lourdement. Ce n’est pas vrai. Le socialisme, même comme doctrine est d’abord un travail sur soi, une élucidation des causes de sa condition sociale.

La conscience socialiste naît d’un rapport critique à la réalité. Elle est la compréhension que cette misère qui ne tombe pas du ciel, qu’elle n’est pas inhérente à la condition humaine, mais au lien social. Le socialisme est donc une construction culturelle et intellectuelle, il est un acte de conscience qui engage davantage qu’une simple adhésion a un parti. On ne peut pas penser le socialisme et les rapports sociaux en dehors de rapports culturels qui pénètrent ces rapports sociaux au point que ceux-ci ne peuvent se concevoir sans ceux-là. La bataille sociale est aussi une bataille culturelle.

Les Français comme peuple ont une histoire singulière qui traverse aussi le mouvement socialiste et nous singularise parmi les peuples d’Europe. Nous sommes les héritiers intellectuels d’une histoire qui reformule la cause du socialisme. Nous sommes le pays de la grande Révolution de 1789 contre l’inégalité, les privilèges, l’inégalité institutionnalisée entre les êtres humains. Il s’agit là d’un fait original et singulier qui n’est pas comparable aux jacqueries précédentes de notre histoire ni de celle des pays voisins. La révolution de 1789 n’a pas d’horizon limité par le cadre national. Elle s’est donnée immédiatement une perspective universelle. Il est cependant évident qu’à vouloir tout penser dans l’universel il nous arrive parfois aussi de manquer l’essentiel. Par exemple la capacité à comprendre une structure d’oppression particulière comme le patriarcat. L’universalisme aveugle la conscience du genre. Nous en avons eu l’écho dans le débat sur la parité au Sénat lorsque nous avons vu un des esprits les plus brillants et respectés de notre mouvement, Robert BADINTER, protester contre l’établissement d’une catégorie particulière pour les femmes dans la représentation politique et ce compte tenu du fait que le souverain étant un et indivisible, il ne pouvait pas être réparti entre des catégories de genre ou de sexe. Ainsi, ce qui a été notre force peut parfois devenir notre faiblesse intellectuelle.

Si je fais référence à cet évènement qui a « fondé l’ère moderne », selon le terme de GOETHE, c’est parce que nous devons comprendre en quoi elle nous a distingué du reste du mouvement socialiste international. Cette différence demeure aujourd’hui. Nous n’avons jamais pensé la transformation socialiste autrement que dans les catégories de l’universel. C’est ainsi qu’il y a toujours eu une certaine mauvaise conscience à être socialiste ou bien marxiste en France dans la mesure où cela signifiait qu’une classe était proclamée comme ayant un rôle eschatologique dans l’histoire, accomplir un destin historique en tant que classe sociale et pour elle-même. L’universalisme révolutionnaire et jacobin supposent que la classe se dépasse. Dans cette approche, il ne suffit donc pas qu’il y ait une classe sociale à vocation dominante, il faut aussi qu’elle soit capable de proposer à l’ensemble de la société des valeurs qui puisse la rassembler dans une perspective collective et individuelle de progrès.

C’est pourquoi le socialisme français a une singularité à valeur universelle. Nous devons la cultiver. D’autant plus que nous sommes aujourd’hui dans ce que j’appelle un nouvel ordre globalitaire. Il s’agit en quelque sorte d’une société « sans bords », totalement inclusive dans tous les compartiments de l’activité humaine et jusque dans les mécanisme intimes de d’identification de individus. La victime du système, l’opprimé est formaté pour consentir à l’ordre auquel il participe. L’individualisme contemporain est une oppression consentie et même désirée. Le socialisme est ainsi pris à revers de ce qui était son moteur : la reconnaissance de l’identité individuelle, des droits personnels. Le capitalisme de notre époque est passé sur ce terrain et il a retourné a son avantage l’aspiration des individus a se singulariser. J’évoque ici un thème très précis pour illustrer mon propos, même si nous n’aurons naturellement pas le temps, loin s’en faut, d’épuiser le sujet : la place de la personne. La société individualise les rapports sociaux. Nous le percevons comme un grand progrès et comme le moyen d’affirmer une identité personnelle. Mais ce mouvement défait aussi petit à petit le lien qui nous rattache aux autres individus dans la société. Ainsi la construction de l’individu en tant que personne émancipée devient un enjeu. Devant ce défi j’opte pour ce que je nomme le « personnalisme républicain ». J’espère que Jacques DELORS est toujours dans la salle parce que j’espère l’intéresser. Nous avons en effet ici une matrice commune pour réfléchir sur la façon dont l’individu peut devenir une personne par son rapport à la société. Je crois que cela peut se faire à travers les valeurs universelles et non pas à travers les valeurs des communautés dont sont issues les individus. L’individualisation est aujourd’hui au centre des préoccupations du capitalisme. Autrefois, nous socialistes, disions : « tu n’es pas qu’un paysan, tu n’es pas qu’un ouvrier, tu n’es pas la propriété de l’autre ou un morceau d’un grand tout, tu es une personne, c’est cela qui compte à nos yeux » et nous donnions les proposions les moyens de parvenir à la libération, matérielle, intellectuelle et philosophique. Aujourd’hui, c’est le capitalisme qui dit : « que préfères-tu, le yaourt à la vanille, à la banane, à la fraise ? Tu préfères des verres ronds, des bouteilles carrées ? » Pour résumer, il nous prend à revers en donnant aux personnes le sentiment que c’est lui qui les libérera en tant qu’individu tandis que nous, les socialistes, nous serions cloué dans un ordre en perdition, celui du bien commun, du lien social qui nous rattache les uns aux autres.

Ainsi, de cette façon encore nous constatons que la bataille socialiste du XXIe siècle est culturelle autant que sociale. Disons même : cela ne peut être une bataille sociale que parce qu’elle est culturelle. Si nous ne le comprenons pas, nous sombrerons rapidement – comme cela a été la tare et la mort d’une partie du mouvement socialiste, je pense particulièrement à certains rameaux du mouvement communiste – dans l’indifférence aux aspects institutionnels, aux modes d’organisation du vivre ensemble, à la qualité du lien social, à l’indifférence pour la propagation du communautarisme. Cent fois j’ai entendu par exemple qu’il ne fallait pas se préoccuper des différences ethniques affichées du moment que tous soutiennent les mêmes revendications. Or, précisément, on ne présente pas longtemps les mêmes revendications dans ces conditions là. Dorénavant la question laïque dans tous ses aspects se présente bien comme un versant de la question sociale. C’est ce qu’a constaté le forum social mondial lorsque les représentants des syndicats des transporteurs des autobus ont expliqué qu’il était impossible d’envisager une action de grève générale dans les transports parce que le personnel membre des hautes castes refusaient de faire grève en même temps que les basses castes car il estimait que c’était indigne d’eux. Voilà comment marchent d’un même mouvement le social, la bataille culturelle, le socialisme, la République et l’universalisme depuis le premier jour et sans doute jusqu’à l’émancipation totale de la société et des personnes qui la compose.


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  1. Mais pour en arriver à l'émancipation totale de la société et des personnes qui la composent, nous ne pourrons éviter d'énormes conflits ; beaucoup trahiront la cause de l'émancipation par des alliances hors nature avec les libéraux y compris avec les libéraux- soit disant socialistes. Pour avancer d'un pas sur le chemin de l'émancipation nous devrons traverser des champs de misère, mais ce qui est certain c'est que des hommes des femmes donneront leurs vies pour que d'autres vivent mieux.
    Je crois que pour vouloir réellement changer la vie, il faut être révolutionnaire et quand on l'est vraiment c'est un devoir de faire la Révolution.
    Révolution ne veut pas dire guerre civile, être révolutionnaire c'est être suffisamment convaincant pour changer les mentalités l'état esprit et de penser de son ami son voisin, son frère.
    A 75 ans, je me rappele de mon pére qui était socialiste et syndicaliste rentrer en sang, déchiré de partout, puis la guerre et de retour la place d'infirmier de bloc opératoire lui avait été reprise malgré ses 7 ans d'ancienneté il était délégué de la CGTU, la Guerre mon grandpère mort des suites des tortures de la Milice, mon grand père était Radical Socialiste et Franc-Maçon et proche de Edouard Hérriot Maire de Lyon. Ma mère arrêtée puis relachée, soupçonnée d'aider les juifs protégés par le Temple Protestant de la Lanterne, Roland de Pury notre Pasteur, ouvrier CGT, condamné à mort et qui en a réchappé, honoré de la Médaille des justes et par Chirac au Panthéon; Pol Levi mon frère adoptif, qui ne revint pas de Auswitch, et mon père à Taluyer en uniforme de lieutenant partant à l'assaut de la ville de Lyon. Ma Guerre d'Algérie, engagé dans le Service de Santé des Armées, ma lutte pour la Paix, le PC, puis le PS, puis plus que PRS et la lutte pour recréer l'Union des vraies Gauches,..........
    La lutte pour l'émancipation je sais, c'est un peu le sens de ma vie

  2. cattan dit :

    Pauvre Jean-Luc depuis le temps que j'ai envie te le dire, que fais-tu dans ce parti?
    Tu te sens à l'aise à la fête de l'huma mais tu es un pestiféré au PS ! Je rencontre à chaque manif des membres du PRS, ils défilent et distribuent des tracts mais point de militants de PS ! Le mouvement social se débat dans l'adversité affrontant les quolibets de la droite, l'absence arrogante du PS qui hésite et s'abstient quand Napoléon le Nain lui demande de voter des mesures urgentes. A quand les pouvoirs spéciaux ?


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