Accueil

Politique Mélenchon
"Un problème avec la communauté tchétchène" : pourquoi les propos de Jean-Luc Mélenchon interrogent
Jean-Luc Mélenchon s'en est pris à la communauté tchétchène à la suite de l'attentat islamiste du 16 octobre à Conflans-Sainte-Honorine.Jean-Luc Mélenchon s'en est pris à la communauté tchétchène à la suite de l'attentat islamiste du 16 octobre à Conflans-Sainte-Honorine.
CELINE BREGAND/SIPA CELINE BREGAND/SIPA

"Un problème avec la communauté tchétchène" : pourquoi les propos de Jean-Luc Mélenchon interrogent

Analyse

Par

Publié le

Le chef de file de la France insoumise s'en est pris frontalement aux Tchétchènes en marge de l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine. Appelant à l'unité nationale, il est sous le feu des critiques, accusé de compromissions avec l'islamisme.

Jean-Luc Mélenchon déteste être comparé à Marine Le Pen, et il a bien raison. Le rapprochement entre le fondateur de La France insoumise et la présidente du Rassemblement national, sous prétexte de "populisme", est aussi inepte que malveillant. Mais il faut bien avouer que ce dimanche 18 octobre, lors de la manifestation place de la République puis sur le plateau de LCI, certains mots de Mélenchon n'auraient pas dépareillé dans un meeting lepéniste : "Moi, je pense qu'il y a un problème avec la communauté tchétchène en France", a lâché le député de Marseille, faisant référence à l'attentat perpétré par Abdouallakh Anzorov ce vendredi 16 octobre mais aussi aux incidents à Dijon en juin dernier. "Il faut reprendre un par un tous les dossiers des Tchétchènes présents en France et tous ceux qui ont une activité sur les réseaux sociaux, comme c'était le cas de l'assassin ou d'autres, qui ont des activités de l'islamisme politique (...), doivent être capturés et expulsés", a ajouté Jean-Luc Mélenchon.

Si les services antiterroristes sont effectivement préoccupés par la radicalisation d'un grand nombre d'individus tchétchènes, le caractère définitif des propos de Jean-Luc Mélenchon interpelle. Comment interpréter une telle fermeté ? Surtout, pourquoi la diriger aussi explicitement vers les Tchétchènes, alors que dans l'engrenage fatal qui a mené à la mort de Samuel Paty, d'autres individus non originaires de cette région russe ont été impliqués ? Les plus sévères accusent l'Insoumis d'agir en calculateur retors, s'en prenant à une "communauté" qui ne représente rien électoralement. En déplaçant l'enjeu sur l'ethnie tchétchène, Mélenchon est également soupçonné de vouloir reléguer au second plan la question de l'islamisme, même s'il ne s'est pas privé d'aborder le sujet sur LCI : "Ce que je veux que les islamistes politiques sachent, c'est que je reste leur ennemi, comme je l'ai été quand il y avait le FIS [en Algérie], quand il y avait Ennahda au pouvoir en Tunisie."

Les exemples d'engagement anti-islamisme du chef de file des Insoumis datent un peu. De fait, le timing de l'attentat n'est pas idéal pour lui, qui est accusé d'avoir fait adopter à son mouvement un tournant accommodant envers le communautarisme depuis 2017. Il y a seulement quelques semaines, le 25 août dernier lors de l'université d'été de La France insoumise dans la Drôme, Jean-Luc Mélenchon déplorait le fait "qu'on fasse la rentrée en recommençant le cinéma sur le soi-disant séparatisme, et la soi-disant laïcité", raillant "des gens qui pendant des années se sont moqués de nous quand nous nous battions pour la séparation des Églises et de l'État, et qui tout d'un coup se sont repeints en laïques pour pouvoir détester avec des mots honorables la deuxième religion de ce pays et tous les musulmans de ce pays". Plus récemment encore, il qualifiait la prise de parole d'Emmanuel Macron sur la loi anti-séparatisme de "discours contre les musulmans".

En février dernier, lorsque le ministre Jean-Michel Blanquer avait évoqué le séparatisme islamiste, la députée Insoumise Danièle Obono avait dénoncé le "racisme d'État". Or, c'est précisément cette manière de qualifier de "raciste" ou "d'islamophobe" toute personne osant soulever la question de l'islamisme en France qui a nourri un climat délétère. De mêmes lâchetés, de même accusations infondées ont conduit à l'assassinat de Samuel Paty ce vendredi 16 octobre. Jean-Luc Mélenchon lui-même s'en prenait directement à Charlie Hebdo (et à Marianne au passage) le 28 août, accusant le journal de se livrer à un "harcèlement nauséabond" envers Danièle Obono pour avoir simplement critiqué ses idées politiques.

Longue dérive à la France insoumise

Autrefois rangée d'office dans le camp de la gauche républicaine en raison de l'attachement à la laïcité de Jean-Luc Mélenchon et de ses proches, la France insoumise est désormais accusée de s'être compromise. Ce tournant, nourri par la cohabitation au sein du mouvement entre des laïques et des défenseurs de l'indigénisme, s'est matérialisé par de bruyants exemples : en novembre 2018, un groupe de militants insoumis du nord de Paris était radié de LFI pour avoir voulu organiser un débat sur "l'entrisme islamiste" dans les syndicats. Début octobre, en marge d'une perquisition à la mosquée salafiste Omar dans le XIe arrondissement de Paris, le ban et l'arrière-ban de La France insoumise protestaient bruyamment contre l'opération policière, qualifiée par Jean-Luc Mélenchon de "honteuse incitation à la haine de l'État". Mais le précédent le plus marquant est bien sûr la participation de la France insoumise et de la plupart de ses élus à la marche contre l'islamophobie, le 10 novembre 2019. Cette manifestation dénonçant des "lois liberticides" contre les musulmans en France, et lors de laquelle des laïques furent hués par la foule, avait été initiée par le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), un organe lié aux Frères musulmans qui se trouve aujourd'hui dans le viseur du gouvernement. Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur, a affirmé que le CCIF était "manifestement impliqué" dans l'assassinat de Samuel Paty, et a qualifié l'association "d'ennemi de la République", souhaitant sa dissolution. Il y a un an, la France insoumise marchait à son appel.

Ces éléments expliquent que les Insoumis, naguère considérés comme d'irréprochables républicains, font aujourd'hui l'objet de critiques acerbes. "On a affaire à des fous et des assassins qui pratiquent des actes de terrorisme islamiste, qui salissent leur religion et nous pourrissent la vie" a affirmé Jean-Luc Mélenchon, appelant à la répression des islamistes et à l'unité nationale dans ce combat : "C'est notre devoir à tous républicains d'être présents dans ces moments. Il faut savoir se regrouper, passer outre tout." Mais pour mener au mieux le combat contre l'islamisme, il peut être utile de pointer les dérives qui minent des mouvements comme la France insoumise.

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne