Entre la France insoumise et la police, des relations toujours difficiles

Les relations entre la France insoumise et les forces de l'ordre sont tendues, faites de méfiance réciproque.
Les relations entre la France insoumise et les forces de l'ordre sont tendues, faites de méfiance réciproque. © STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
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Le leader de la France insoumise s'est attiré les foudres des syndicats de police après son coup de sang contre les perquisitions. Enième illustration des rapports compliqués qu'entretient la gauche radicale avec les forces de l'ordre.

Les syndicats ont réagi vite et fort. "Il est inacceptable de voir un homme politique de premier plan vociférer à la face de représentants de l'État, policiers, gradés, gardiens de la paix et représentants de la justice", a dénoncé Jean-Claude Delage, secrétaire général d'Alliance, "scandalisé" par "l'attitude du leader de la France insoumise qui n'a rien à voir avec le mandat qui lui a été confié par le peuple". Même son de cloche du côté de SGP Police-FO, qui a fait part de sa "stupeur" et réclamé des "excuses publiques" à Jean-Luc Mélenchon.

Auprès des forces de l'ordre, le coup de sang du député des Bouches-du-Rhône, mardi, alors que des perquisitions étaient menées à son domicile puis dans les locaux de la France insoumise, est très mal passé. Sur les vidéos de ces interventions, on voit notamment l'élu et d'autres Insoumis prendre à partie les policiers et les magistrats, mais aussi tenter d'enfoncer la porte de leurs locaux devant des agents impassibles. Il n'y a guère eu que le syndicat VIGI-CGT Police pour prendre la défense des perquisitionnés et dénoncer de concert une "utilisation de la justice et de la police nationale à des fins politiques par le pouvoir en place".

Tensions entre l'extrême gauche et la police

Ce coup de colère de Jean-Luc Mélenchon rappelle à quel point les relations entre les forces de l'ordre et la France insoumise, et plus largement la gauche radicale, sont compliquées. La méfiance est réciproque. Les formations politiques d'extrême gauche n'ont de cesse de dénoncer les violences policières et des politiques trop sécuritaires, tandis que certains manifestants violents appartiennent à des groupes d'ultra-gauche. Le 23 février 2017, Jean-Luc Mélenchon avait été invité dans "L'Emission politique" sur France 2. Interpellé par un major d'une brigade anti-criminalité (BAC), le candidat Insoumis lui avait dit être "fatigué de la police Sheriff". "Gardien de la paix, c'est pas cow-boy", expliquait-il alors. Et le major de répondre ce que beaucoup de policiers pensent encore et toujours du leader de la France insoumise : "Vous stigmatisez la police nationale."

En juin dernier, une cinquantaine d'agents de police avaient de nouveau exprimé leur colère devant le siège de la France insoumise, en raison d'un communiqué cosigné par quatre députés du mouvement. Les élus demandaient au ministère de l'Intérieur de retirer une plainte déposée contre Hadama Traoré, militant anti-violences policières qui avait déclaré lors d'une manifestation : "Il y a des policiers qui nous violent, il y a des policiers qui nous tuent, il y a des policiers qui nous violentent dans nos quartiers." Le soutien des députés à Hadama Traoré relevait encore une fois, pour les syndicats de fonctionnaires, d'une stigmatisation.

Sans surprise, les fonctionnaires de police ne sont pas les premiers électeurs de la France insoumise. Dans une enquête menée en 2017, et dont les détails ont été communiqués à CheckNews, le Cevipof s'est intéressé au vote des policiers. Avant la présidentielle, seuls 9% d'entre eux se disaient "à gauche", contre 32% au "centre" et 57% à "droite". Au premier tour, 1% d'entre eux ont voté à "l'extrême gauche" et seulement 8% pour Benoît Hamon ou Jean-Luc Mélenchon.

Quand la France insoumise s'empare du thème de la sécurité

Pourtant, la France insoumise a beaucoup travaillé à rectifier cette image "anti-flic" qui colle à la peau de la gauche radicale. Preuve en est : un livret entier de son programme présidentiel, "L'Avenir en commun", était consacré à "la sécurité et la sûreté". Piloté par Ugo Bernalicis, ancien fonctionnaire au ministère de l'Intérieur aujourd'hui député, celui-ci formulait certes des propositions attendues d'un mouvement d'extrême gauche, comme la suppression des BAC, la refonte de l'IGPN ou encore l'interdiction des tasers et des flashballs. Mais le document prenait aussi la défense des policiers de terrain, dénonçant "la fermeture des antennes de police dans les quartiers" et les politiques qui "rabougrissent ses missions au rôle répressif tout en dégradant les conditions de travail de ses agents". Et prônait une réhabilitation de la police "de proximité".

De quoi se démarquer du reste de la gauche radicale. À titre de comparaison, Philippe Poutou, candidat du NPA, s'était prononcé lui en faveur du désarmement des policiers. Ce qui n'avait pas manqué de provoquer un tollé, d'autant que cette proposition intervenait au moment même où une attaque terroriste contre un car d'agents de police sur les Champs-Elysées faisait un mort.

Mélenchon sur une ligne de crête

En réalité, les critiques de Jean-Luc Mélenchon se concentrent plus sur les chaînes hiérarchiques et la politique du chiffre que sur les agents eux-mêmes. Un procédé qui n'est pas sans rappeler, d'ailleurs, celui employé avec les journalistes : le leader de la France insoumise revendique défendre les petites mains tout en s'attaquant aux rédactions en chef et aux propriétaires de média.  Là, la France insoumise estime que c'est bien la "multiplication d'ordres hiérarchiques irresponsables, issus des consignes du gouvernement", qui entraîne un "malaise au sein de la police". Le mouvement souhaite dans son programme "réaffirmer le rôle social du policier, du gendarme et des institutions judiciaires".

" Le comportement de Jean-Luc Mélenchon est en rupture avec les attentes d'exemplarité chez les élus. Cela l'enferme dans la protestation plutôt que la proposition. "

Mais cette ligne de crête est difficile à tenir. Et de même que Jean-Luc Mélenchon finit régulièrement par s'en prendre aux journalistes, les images des perquisitions de mardi matin le montrent en train de crier au visage d'un fonctionnaire mais aussi bousculer un agent de police et un représentant du parquet. Jeudi, juste avant d'être entendu par la police anticorruption, le député a dénoncé plus calmement une "police politique faite pour intimider les gens".

Le coût électoral de la colère

Reste que l'épisode pourrait bien laisser des traces. Car si les relations entre les partis d'extrême gauche et la police sont compliquées, ce n'est pas toujours le cas de leur électorat. "C'est vrai pour les militants, mais pas les autres", note Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop. "En réalité, les policiers sont plébiscités par la population, même les sympathisants d'extrême gauche." Le dernier baromètre Ifop-Fiducial pour CNews et Sud Radio sur le sujet, publié en février 2018, montre ainsi que 82% des Français ont une bonne opinion des policiers. Cela grimpe à 88% pour les gendarmes et 89% pour les militaires. En ne regardant que les sondés qui se disent proches de la France Insoumise, le pourcentage est moindre mais reste élevé : 63% de bonnes opinions à l'égard des policiers.

"Le comportement de Jean-Luc Mélenchon est en rupture avec les attentes d'exemplarité chez les élus. Cela l'enferme dans la protestation plutôt que la proposition", analyse Frédéric Dabi. "Cela fracture aussi l'image qu'il s'était construite, celle d'un homme calme, posé, qui connaissait parfaitement ses dossiers." S'il est impossible de prédire un quelconque effet électoral de cet épisode, on ne peut pas non plus l'exclure. "Ce qui s'est passé n'est pas anodin", souligne Frédéric Dabi. "Cela pourrait avoir des conséquences négatives pour Jean-Luc Mélenchon."