Le jour où Lionel Jospin a rompu avec le PCI

Le jour où Lionel Jospin a rompu avec le PCI

EXCLUSIF Printemps 1982 : Pierre Lambert, leader du mouvement trotskiste PCI, demande à Lionel Jospin, alors premier secrétaire du PS, de dénoncer la rigueur. Jospin refuse. Le Nouvel Observateur raconte la rupture.

Par Le Nouvel Obs
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Deux hommes s’affrontent, qui se connaissent depuis si longtemps, et constatent qu’ils ne parlent plus le même langage. “Mitterrand trahit le mandat des électeurs”, lance Pierre Lambert, leader du Parti communiste internationaliste (ex-OCI). “Il faut protéger la gauche au pouvoir”, répond Lionel Jospin, Premier secrétaire du Parti socialiste.
Paris, printemps 1982. C’est un dialogue politique tendu et passionnant, presque un débat pour l’histoire: l’éternel dilemme entre la radicalité et le compromis. Mais cette rencontre est secrète, insoupçonnée aussi bien des medias que du peuple de gauche. Elle a quelque chose de surréaliste: Lionel Jospin, chef du premier parti de France, débat d’égal à égal avec le leader d’un parti inconnu et mystérieux, un petit groupe trotskiste pratiquement inconnu du grand public? Jospin, qui petit-déjeûne chaque semaine à l’Elysée avec François Mitterrand et son premier ministre Pierre Mauroy, doit répondre aux admonestations de Pierre Lambert? C’est pourtant le cas.

Jospin et le petit bonhomme

Jospin, son mètre quatre-vingt-un, sa carrure d’athlète, son poids politique, se défend face à un petit bonhomme moustachu, un fumeur de brunes à la voix gouailleuse et aux arguments d’acier. Il y a du respect dans ce dialogue : Lambert fut, autant que François Mitterrand, un des maîtres de Jospin. Militant depuis l’avant-guerre, il a maintenu la flamme du trotskisme depuis près d’un demi-siècle. Contre l’URSS, contre le PC, il prétend incarner la véritable Révolution, le vrai communisme. Lambert a créé, en 1965, avec quelques dizaines de militants, l’Organisation communiste Internationaliste… Cette OCI que Jospin a rejoint lorsqu’il était étudiant à l’ENA. Cette OCI qui l’a envoyé en mission au Parti socialiste, à la fin de 1971.

Entre deux identités

En 1982, au moment où il débat avec Lambert, Lionel Jospin est encore trotskiste… Mais pour la première fois depuis dix ans, il est en désaccord avec Lambert. Pour la première fois depuis son entrée au PS, il doit choisir entre ses deux identités; entre le trotskiste qu’il fût, et le socialiste qu’il est devenu.
Depuis mai 1981, la gauche gouverne la France, mais la fête est déjà finie. L’économie a eu raison des enthousiasmes. Jacques Delors, ministre de l’Economie et des Finances, réclame la pause dans l’annonce des réformes. Dévaluations et plans de rigueur obscurcissent le ciel. La gauche, venue au pouvoir pour changer la vie, s’apprête à réduire l’inflation et à pourfendre les déficits... Les militants trotskistes mènent la bataille contre les “trahisons” gouvernementales. “Respectez le mandat”, scandent-ils à l’adresse de la gauche au pouvoir. Ils font signer une pétition nationale. C’est alors que les dirigeants du PCI (nouveau nom de l’OCI) retrouvent Lionel Jospin, leur camarade, dans cette réunion secrète.

Un congrès du PS

Des rencontres de ce genre, ils en ont eu quelques-unes depuis que Jospin est entré dans une vie compliquée. Elles ont ponctué son parcours au PS. Des années durant, le plus bel espoir du Parti socialiste a poursuivi son travail politique avec les trotskistes. Ces hommes ont pris l’habitude de se parler, de s’entendre, de s’estimer. Ils ne se quitteront d’ailleurs pas totalement après cette réunion, malgré ce constat de désaccord qu’il ne peuvent éviter. Face à Jospin, l’argumentation lambertiste est d’une logique imparable: le tournant de la rigueur va à l’encontre des résolutions des congrès socialistes. Il faut donc convoquer un congrès extraordinaire du PS pour débattre du reniement, et le sanctionner. En clair, Lionel Jospin, premier secrétaire du Parti socialiste et trotskiste clandestin, doit lancer le PS à l’assaut du gouvernement de François Mitterrand!

Renforcer le gouvernement

Evidemment, Jospin refuse. Il a en charge le destin du Parti socialiste, que Mitterrand lui a confié. Il pense, contrairement à Lambert, qu’il faut renforcer le gouvernement attaqué par les forces capitalistes. La gauche doit durer au pouvoir, démontrer sa légitimité à gouverner la France. Jospin résiste donc. A Pierre Lambert qui tient le discours de l’intransigeance, Lionel Jospin répond en socialiste responsable. Il n’est plus membre de la IVe Internationale.
Il va pourtant maintenir des liens avec les lambertistes, comme l’affirmait justement le journal Le Monde, la semaine dernière, jusqu’en 1986-87. Ce ne seront plus des relations de militants trotskistes, mais des discussions politiques, souvent poussées, entre hommes de gauche qui s’estiment, même si leurs chemins ont divergé. Au fil du temps, ces rencontres se révéleront un peu vaines. Lionel Jospin poursuivra son parcours intellectuel vers le réformisme pondéré qui est le sien aujourd’hui.

Claude Askolovitch *

- Dans le Nouvel Observateur daté du jeudi 14 juin, l'intégralité de l'enquête de Claude Askolovitch.

*Journaliste au service Politique du Nouvel Observateur, Claude Askolovitch publie en septembre une biographie du Premier ministre.
Le Nouvel Obs
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