Bové, une tournée «alterorganisée»

Une agence de com bénévole, une salle prêtée, les dons du «Bovéthon» sur Internet... La campagne du leader paysan garde des airs de joyeux bazar.
par Matthieu Écoiffier
publié le 14 février 2007 à 6h03

Sur l'affiche, un coquelicot. Et un slogan : «Osez Bové».«On met pas la tronche de Bové exprès. Ses moustaches sont aussi connues que la gueule du Che, explique Christophe Aguiton, syndicaliste altermondialiste. Le coquelicot est une fleur sauvage, un indicateur de pollution», commente-t-il en montrant le projet d'affiche à Claire Villiers (Alternative citoyenne) et Francine Bavay (du courant Alterekolo des Verts). Membres du comité de campagne, les trois compères travaillent dans le TGV, puis dans la voiture d'un militant, en route pour le premier meeting de José Bové à Aubagne (Bouches-du-Rhône). Mercredi 7 février : un autre slogan fait du leader paysan «le porte-voix des sans-voix».«C'est trop étriqué. Le peuple qui souffre, le créneau misérabiliste, laissons-le au PC. On doit faire rêver sur une alternative», commente Villiers. C'est une grosse agence de com ­ Anatome ­ qui a travaillé sur les visuels. Bénévolement. «Si on a les 500 signatures et que Bové se présente officiellement, l'Etat débloquera 690 000 euros», espère Bavay. En attendant, c'est le système D, avec des dons issus des collectifs antilibéraux ou des 40 000 signataires du «Bovéthon» sur Internet. Pour le meeting, le maire (PCF) d'Aubagne prête l'Agora.

«A Paris, c'est le bordel, ça tire dans tous les sens !», se plaint un proche de Bové. Un «pool» de porte-parole doit d'ailleurs se mettre en place aujourd'hui (lire encadré). «Dommage que Clémentine Autain (adjointe apparentée PCF au maire de Paris, ndlr) n'en soit pas. En duo avec José, ils auraient cassé la baraque», regrette Rémi Jean (LCR). Autain ne cache pas sa perplexité : «Le scénario avec trois bulletins de vote ­ Bové, Buffet Besancenot ­ au lieu d'un, je ne le sens pas. J'ai toujours milité pour un rassemblement plus large». Et quid du message ? Et de Bové jugé «laborieux» par ses proches au 20 heures de TF1 le soir de sa déclaration de candidature, le 1er février ? «Le problème pour José est de passer du syndicalisme au politique, de la revendication aux propositions», note Claire Villiers. «Il faut qu'il fasse du Bové : "Moi c'est vous : j'ai résisté au libéralisme, je sais ce que c'est, on peut gagner''», théorise Bavay.

Objecteur. 20 heures, meeting à l'Agora d'Aubagne. Galvanisé par sa condamnation, l'après-midi, à quatre mois de prison ferme pour fauchage d'OGM, Bové fait du Bové : «Je suis heureux ce soir. Ou j'étais au bagne ou j'étais à Aubagne.» Et de dialoguer avec le philosophe Michel Onfray au téléphone : «J'aime bien que ta candidature sorte de terre. C'est important que le désir du peuple ait un nom et que ce soit le tien. Tu incarnes bien ce génie collectif issu de la Révolution française.» Dans la salle, beaucoup de profs, d'étudiants, de syndicalistes et d'associatifs. Des militants «unitaires» de la LCR et du PCF, des écologistes alternatifs. Et des babas cool ravis de découvrir un «objecteur de croissance» parmi les orateurs. «Le côté médiatique de Bové me faisait douter, explique Virginie ­ une "prof alternative". Là, je crois que les gens qui vivent dans des cabanes et dans des yourtes vont aller voter pour lui. Mais on ne se déplacera jamais pour Royal au second tour.»«Beaucoup de culs-terreux comme nous ne votaient plus. Bové, il a quelque chose d'humain que les autres n'ont plus», ajoute sa copine Sophie, cultivatrice.

Jeudi 8 février, 10 h 30, bar de la gare Saint-Charles à Marseille. «Alterorganisé ne veut pas dire désorganisé», précise José Bové en référence au meeting «joyeusement bordélique» de la veille. Le candidat se montre confiant : «Il y a une certaine lucidité au PS. Si tu fais la somme des voix à gauche, il n'y a pas le compte. Nos programmes sont incompatibles, mais on est dans le même camp. On peut agréger les abstentionnistes de 2002 et les dispersés du non à la constitution européenne.» 11 heures. Entre deux directs sur France Inter et Radio Gazelle, le candidat fait un tour dans la manif des fonctionnaires, flanqué de deux figures du PCF local : Robert Bret, sénateur des Bouches-du-Rhône et Annick Bouët, présidente du groupe municipal. «J'ose Bové», martèle Bret. «Unité avec Buffet, retrait de Bové !», hurlent une douzaine de jeunes communistes à leur passage. «Ils sont encore plus stals que les anciens», balance le sénateur. Maurice, un retraité très ému aborde Bové : «Tu es de la famille, mais le Parti communiste c'est l'historique, il n'a pas trahi les ouvriers», explique cet ex-ajusteur. Bové ne se risque pas à descendre dans les rangs de la CGT. Une vieille dame, à vélo sur les rails du tram, l'apostrophe : «Vous n'avez pas raison sur tout, mais sur les OGM vous protégez notre santé.»

15 heures, QG des «Marseille trop puissant», un club de supporters de l'OM «de gauche et antiracistes», précise son staff. «Le foot c'est l'opium du peuple, sauf l'OM qui crée du lien social», plaisante Bové. «Et vous mettez la pression sur les financeurs ?», demande-t-il à Ahmed, le vice-président du club. Un vrai bide. «Le repreneur, on lui laisse le bénéfice du doute. L'amour du jeu, on n'a que ça.»

Califat. 17 heures. Le candidat est plus à l'aise sur le site du futur incinérateur de Fos. «Vous êtes de vrais citoyens français face à des voyous qui polluent. S'il faut envahir le chantier, je serais avec vous, lance-t-il à 200 militants associatifs survoltés. Quand vous irez faire vos courses, laissez les emballages à la caisse !» Cette perspective enthousiasme Raymonde, retraitée : «Il est superconvaincant. C'est la gauche de gauche qui veut défendre les gens qui ne sont pas soutenus.»«Il n'est pas candidat au califat mais pour redonner le pouvoir au peuple», dit son voisin. Bové est déjà reparti pour rencontrer des jeunes des quartiers nord. «Il est le candidat populaire», conclut Rémi Jean.

Hier, sa candidature totalisait 235 parrainages. «Le scénario pourri serait qu'il finisse avec 300 signatures et Besancenot 400. Et qu'aucun des deux ne puisse se présenter», s'inquiète un de ses proches. Ou bien que tout cela se termine «en compétition de nains de jardin à la gauche du PS», selon un militant. Bavay reste optimiste : «L'institut Louis-Harris lui donne 2 %, et la Sofres 3,5 % devant Buffet et Besancenot. Il n'y a que lui qui monte. Tant qu'il ne sera pas candidat officiel, il va plafonner. Les gens vont finir par se rendre compte qu'il est la chance de la gauche pour gagner.»

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