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La deuxième gauche, une histoire inachevée. (Entretien)

février 2006

#Divers

La rénovation doctrinale du parti socialiste pouvait-elle être déclenchée par la deuxième gauche ? La naissance du Psu dans le refus de la guerre d’Algérie, sa place au sein de la gauche avant la naissance du parti socialiste puis la nécessité de s’intégrer au fonctionnement du parti éclairent les contraintes qui encadraient sa stratégie politique.

Cette discussion collective avec Michel Rocard (qui s’est tenue à Esprit en janvier 2004 dans le cadre d’une série de rencontres consacrées à l’histoire politique de la gauche et dont la transcription a été révisée par Michel Rocard en janvier 2006) n’avait pas pour but de commenter l’actualité mais de revenir avec lui, à distance, sur l’histoire de la « deuxième gauche ». Qu’a-t-elle apporté à la culture politique du socialisme en France ? Comment l’entrée dans le parti socialiste s’était-elle faite ? Pour cela, il fallait remonter à l’histoire du Psu et aux thèmes qui en ont marqué l’identité, notamment l’autogestion. La guerre d’Algérie ressort immédiatement de l’évocation des premières impulsions de ce mouvement qui rassemble des militants venus d’horizons très différents et éloignés de la culture traditionnelle de la Sfio et en grande partie hostiles à elle. Mais cette identité forte du Psu devait se dissoudre dans le socialisme français pour espérer lui imprimer sa marque. Dès lors, une identité propre à la deuxième gauche est-elle une référence qui reste significative ?

Esprit

Esprit – Dans la composante Psu qui est à l’origine de ce qu’on a appelé la « deuxième gauche », quelle part attribuez-vous à l’attachement à la démocratie, l’hostilité au communisme ou au socialisme non démocratique ?

Michel Rocard – La question ne se posait pas d’abord dans ces termes. Nous étions avant tout pris dans des combats militants contre la guerre d’Algérie et pour un socialisme de proximité. Et dans ces combats émergent plusieurs constats. Le premier constat est que le communisme est extrêmement dangereux. Pour ma part, depuis le début, j’affiche un anticommunisme de la dernière véhémence. J’ai été frappé par la lecture de l’admirable J’ai choisi la Liberté de Kravtchenko puis, peu après, par le Zéro et l’infini de Koestler. Le deuxième constat, c’est qu’il n’existe pas de militants socialistes. Personne n’en rencontrait jamais, nulle part. À Sciences Po, dans les années 1949-1951, nous n’étions que douze. Le militantisme va commencer à exister quand nous nous recentrons sur des intérêts syndicaux et sur l’anticolonialisme. Nous allons alors passer notre temps à mener des combats de terrain, inscrits dans l’horizon de la politique française – pas strictement franco-français cependant puisqu’ils sont un peu sur la guerre d’Indochine, surtout la guerre d’Algérie, mais déjà aussi sur le Maroc et la Tunisie.

L’expérience de l’Unef nous sert rapidement de point de référence. Pourquoi ? Parce que dans cette organisation fédérale et non centralisée, le pouvoir se trouve dans les assemblées générales d’étudiants regroupés par ville et, pour Paris, par faculté. C’est à travers le suffrage indirect et par un processus long qu’apparaît une direction de l’Unef. En 1951, le jeu de ce fédéralisme fait tomber l’Unef à droite. Dans cet univers, nous entreprenons un double combat : contre la guerre d’Algérie et pour le présalaire étudiant (plus de bourses, plus de places dans les cités et les restaurants universitaires, édition de manuels…). Grâce à cette mobilisation, l’Unef passe à gauche en 1956, sans avoir besoin de l’appui des communistes. Nous avions donc la démonstration dans notre milieu d’action militante que lorsque des tâches d’urgence démocratique ne sont pas accomplies (dénonciation de la guerre d’Algérie à titre principal, mais aussi dénonciation d’une exploitation sociale), on laisse du champ au Pcf et même une possibilité de monopole. À l’inverse, quand on ouvre la voie à l’action commune, même sans rechigner à être parfois aux côtés du PC, on peut lui prendre de l’espace et gagner une majorité. C’est ce qui s’est passé à l’Unef. Je n’ai jamais renoncé à ce raisonnement sociologique : ne pas laisser au communisme le monopole du combat social. Quand on répond à des angoisses populaires, y compris en passant par l’action militante forte, le Pcf s’étiole. Ceci est d’ailleurs le point central (et probablement unique) de l’accord stratégique que j’ai eu tout au long de ma vie avec François Mitterrand.

La question de la démocratie se pose ensuite autrement à partir de l’automne 1958. Nous étions marqués par un double constat. Tout d’abord, il n’y avait plus de constitution en France, ni même de démocratie, avec un général qu’on croyait maurrassien à la tête du pouvoir. Mais, on devait simultanément constater que De Gaulle n’était pas du tout dictatorial, ni d’ailleurs maurrassien, qu’il allait y avoir de nouveau de la démocratie mais qu’aussi bien personne ne savait où l’on allait.

Une cristallisation immédiate

Comment le thème de l’autogestion est-il apparu ? À quelle nécessité politique répondait-il ? Y avait-il véritablement des réformes concrètes envisagées à partir de ce mot clé ?

Le thème de l’autogestion, mis en avant au Psu à partir de mai 1968, consiste clairement en la saisie opportuniste d’un mot d’ordre venu de la fédération de la Chimie Cfdt vers 1965 ou 1966. Ce mot d’ordre, nous ne l’avions pas inventé nous-mêmes mais il collait parfaitement avec tout ce que nous étions en train de faire. À ce moment-là, ce n’est pas le patois que parle le Psu. Il faut repartir du fait que le Psu est né d’une sorte de hasard. On ne pouvait plus vivre au sein de la Sfio au temps de la guerre d’Algérie. Nous avons cherché à légitimer notre existence dans une pratique militante correspondant à ce dont nous rêvions. Pendant un an ou deux, le fait d’organiser des manifs contre la guerre d’Algérie a suffi à assurer l’identité du mouvement, dans une formidable cohésion : tout le monde était contre nous ! Tout le mouvement de mobilisation contre la guerre d’Algérie commence, il faut le rappeler, le 1er novembre 1961 par une petite manifestation clandestine place de la République – clandestine au sens où 300 personnes rassemblées dans divers cafés parisiens ont eu par téléphone des indications sur le lieu de la manif, juste avant qu’elle ne commence ! Édouard Depreux monta sur la statue de la République tandis que j’étais responsable du service d’ordre et de l’organisation. Cette manif n’a eu aucune espèce de résultat sinon celui de faire prendre conscience à tout le mouvement syndical, et à l’Unef même, que tout n’allait pas au mieux dans le combat contre la guerre d’Algérie. Mais personne ne connaissait le Psu, un tout petit groupe comptant 6 000 adhérents à l’époque. À l’Unef on était 100 000 étudiants sur 120 000. Mais tout cela n’a pas été vain parce qu’au bout du processus, il y a quand même un peu plus d’un million de personnes dans les rues pour les obsèques des morts de Charonne, une manifestation que nous avions lancée. En fait, c’est après les accords d’Évian que le principal problème s’est posé. À ce moment, Alain Savary me présente son analyse : il ne reste plus qu’à faire le socialisme en France. Pour cela, il y a deux façons de procéder. On a déjà fait le choix en 1920. On n’a pas choisi la façon communiste, il faut retrouver une orientation sociale-démocrate. Et donc travailler à la reconstruction de relations possibles avec la Sfio. À l’époque, cela me semble complètement fou et, même si c’était probablement la meilleure stratégie à long terme, inacceptable pour le moment pour la population que nous venions de rassembler dans la lutte anticoloniale. La pyramide des âges à l’intérieur de la Sfio semblait parler pour nous. La Sfio comptait probablement 80 000 membres en tout, mais 55 000 étaient conseillers municipaux. Et la moyenne d’âge devait être de soixante et quelques années. Leur déclin était programmé.

À ce moment, sans rompre avec Alain Savary, je me suis rallié au bloc formé par Gilles Martinet, Claude Bourdet et Louis Alvergnat, qui arrivait de l’Action catholique ouvrière via le Mouvement de libération du peuple (Mlp). Ensemble nous avons créé ce qu’on a appelé la majorité du Psu qui a mis quatre ans à se dégager. Mais nous avons été assassinés par le fait que Raymond Barillon (chef du service politique au journal Le Monde) n’a pas compris, ou a refusé de comprendre, qu’il y avait une sociologie derrière toute cette démarche. Il a refusé de comprendre qu’à ce moment-là le Psu n’était fait que de la somme des honnêtes gens, courageux, anticolonialistes inconditionnels, qui venaient d’un peu partout dans la gauche française. Nous avions nos radicaux, nous avions nos chrétiens, nous avions nos sociaux-démocrates, nous avions nos trotskistes, nous avions nos communistes et tous ont exprimé au sein du Psu le projet de société rêvé d’abord dans leur structure d’origine.

Une fois les accords d’Évian signés, chacun de ces groupes se met à écrire sa motion dans son patois. Et nous voilà donc en 1962 orphelins, divisés, maudits par un Barillon qui ne rêvait que de refaire l’unité de la gauche et de remettre tout ça entre les mains du Pcf, conformément à la ligne de son maître, Jacques Fauvet, admirateur clandestin du Parti communiste français. Nous avions une orientation pour laquelle nous ne disposions pas de nom de baptême. Notre orientation, c’était la proximité, le souci de nos contemporains, la perception extrêmement nette et formalisée (voir la sociologie de Serge Mallet sur la nouvelle classe ouvrière) que ce qui se passait dans les ateliers, dans les usines, sur les chaînes de montage, n’était pas l’alpha et l’oméga des relations sociales, que c’était même devenu un peu marginal par rapport aux antagonismes sociaux et socioculturels de la vie contemporaine. Cette orientation prenait corps peu à peu. Dix ans après, on y reconnaîtra le rôle des Gam (Groupements d’action municipale).

Quel était le vocabulaire dont on se servait ? Je ne crois pas qu’on parlait de démocratie de proximité. On ne devait pas non plus parler de socialisme municipal parce que ça aurait rappelé Marcel Sembat et beaucoup d’autres noms encore plus compromettants. Mais on défendait clairement un enracinement coopératif, que d’ailleurs, dans les combats internes, même nos camarades poperénistes acceptaient. On critiquait aussi les bureaucraties syndicales. Mais comme on avait quand même une part de militantisme ouvrier extrêmement significative et déjà de vigoureux antagonismes internes, cette critique ne nous fournissait pas le vocabulaire unifiant dont nous avions besoin. Le seul vocabulaire unifiant c’était Jaurès, le socialisme, c’est-à-dire pour nous la démocratie poussée jusqu’au bout. À ce titre, déjà la dimension « décentralisation » dans la vie publique émergeait fortement.

Quand la fédération de la Chimie Cfdt nous sort le mot d’« autogestion », une cristallisation immédiate se produit. C’est la cristallisation d’un patois. Avec ce mot, nous avions trouvé la maison qu’il nous fallait pour y loger de nombreux thèmes : la défense des consommateurs (dont le mouvement commençait à s’amorcer), beaucoup de ce qui allait devenir le socialisme municipal, le socialisme des coopératives, le début des mouvements paysans (dans les années 1964-1966) et surtout la demande de prise de responsabilités dans les entreprises industrielles (les lois Auroux exprimeront très exactement cela quatorze ans plus tard). Il comportait aussi deux intéressantes connotations techniques. La première, c’était une référence à un système de gestion aussi proche que possible de ceux qui vont subir ou appliquer les décisions de base. Là, le mot renvoyait à la décentralisation (et au mot d’ordre : « décoloniser la Province »). La deuxième connotation, qui est complémentaire et symétrique, était un système d’organisation sociale dans lequel le contrôle des décideurs venait d’en bas plutôt que d’en haut.

Naturellement nous partagions ce thème avec d’autres sensibilités autogestionnaires, en particulier celles qui étaient pro-yougoslaves, qui avaient le tort à mes yeux de généraliser cette idée à outrance. Il faut rappeler un élément de contexte : via le Fln algérien, nous étions considérés comme le seul parti politique en France qui avait un comportement honorable dans les relations avec le tiers-monde. Une relation avec la Ligue des communistes yougoslaves s’est ainsi créée. Mais malgré notre convergence sur l’autogestion, j’étais rebuté naturellement par le parti unique et la vérification dans le parti de l’unité de commandement. C’est lorsque nous avons renoncé à cette référence permanente aux Yougoslaves, dont nous ne nous sentions pas vraiment proches en vérité (en raison en particulier de l’incompatibilité entre notre pluralisme politique échevelé et leur monolithisme voulu), qu’on a finalement abandonné le mot d’autogestion. Mais nous ne l’avons abandonné que sur ma proposition. Et ce n’est pas passé facilement. Mais cela n’a pas été accepté par notre base et à partir du moment où notre base – riche de trop de frères prêcheurs épris de mots, par rapport aux vrais militants du terrain social – s’est divisée autour d’un mot, d’un rituel communicable, nous ne pouvions plus avancer en force sur un projet social. Nous devenions une micro-église. Pourtant, c’est avec le plus grand sérieux que nous cherchions à traduire ce projet social : décentralisation, démocratie municipale, vrai pouvoir des communautés territoriales, vrai droit de parole des travailleurs sur leur lieu de travail syndicat. Tout cela donnera les lois Auroux.

Après l’échec de Mai 68 nous avons eu une surenchère double, trotskiste et maoïste, qui nous a entraîné dans un gauchisme complètement échevelé. J’ai eu le tort de croire que je pourrais endiguer ce mouvement. J’y suis arrivé mais trois ans trop tard et au prix d’un patois, endossé sous ma signature, qui est quand même difficile à vendre, il faut le reconnaître. L’erreur était de croire qu’avec la population de Mai 68 on remplaçait 50 000 conseillers municipaux. C’est une faute sociologique. Au total, comme l’avait anticipé Daniel Cohn-Bendit dès 1968, le gauchisme a ouvert la voie à François Mitterrand.

Le Psu s’enfermait sur lui-même. Nous disparaissions de la vie politique nationale et nous devenions franchement ridicules. J’ai mis au moins deux ans de trop à m’en apercevoir. Déjà, séparément, Gilles Martinet, Pierre Bérégovoy, Georges Suffert, Alain Savary, Jean Poperen avaient rejoint le parti socialiste. Je voulais pour ma part y entraîner l’essentiel de nos cadres. Et j’y suis arrivé d’ailleurs mais deux ans et demi après, c’est-à-dire quand les structures de pouvoirs internes avaient été prises par les hommes de Mitterrand, ses amis ou ses clients.

Pourquoi rejoindre le PS ?

Au moment du colloque de Grenoble, en 1965, vous refusez d’inviter François Mitterrand. Sur quoi portait ce refus à l’époque ?

Trois éléments d’importance décroissante. Le premier est la guerre d’Algérie : le transfert des pouvoirs civils aux militaires ; le refus de gracier. Il a fait fusiller une bonne quinzaine de condamnés à mort par nos tribunaux que la puissance civile aurait pu gracier. Sans parler de phrases comme : « La seule négociation, c’est la guerre. »

La deuxième affaire c’était sa conduite comme ministre de la France d’outre-mer. Il avait expliqué à Houphouët-Boigny que s’il ne quittait pas le Rassemblement démocratique africain, suspect d’un peu de proximité avec l’Internationale communiste, et s’il ne ralliait pas d’urgence une majorité vivable, on lui appliquerait le traitement de Madagascar. À cette époque on évaluait les victimes du traitement de Madagascar à un chiffre allant de 50 000 à 100 000 morts. Tout cela était public. Cela, je n’en disconviens pas, a été efficace : Houphouët-Boigny s’est vite mis au pas. Mais on n’avait pas encore appris, nous, à ce moment-là, toutes les pollutions de la « politique efficace ».

N’oublions pas, enfin, qu’à ce moment, l’affaire de l’Observatoire est derrière nous et qu’elle n’éveille guère de sympathie pour l’intéressé.

Quand avez-vous compris clairement que derrière cette personnalité – qui en effet pouvait contribuer à réaliser une certaine union et éventuellement vous permettre d’accéder au pouvoir – il y avait là une forme de socialisme qui était extrêmement loin de ce que vous défendiez ? Quand avez-vous compris qu’il ne pourrait pas vous permettre d’atteindre vos objectifs, que c’était totalement à perte pour vous et pour le socialisme que vous incarniez ?

En 1972-1973, il m’apparaît évident que la population du Psu (je ne parle pas des cadres) ne peut pas devenir une population politiquement responsable, qu’elle s’est trop laissée entraînée sur le terrain du gauchisme. Pour moi, en rejoignant le parti socialiste, il faut alors préserver l’approche du socialisme que représentait le Psu, ainsi que ses cadres. À travers l’histoire du Psu malgré tout, notre apport au socialisme commence à avoir une existence. Mais c’est à ce moment-là que des journalistes commencent à parler malencontreusement de « deuxième gauche ». Ce qui est une catastrophe stratégique. Tout notre problème était d’être le sel dans la mer. À partir du moment où l’on était décrit comme isolables, nous étions installés comme minoritaires. Ce qui signifiait notre mort politique.

Nous avons ensuite décidé de faire avec ce Mitterrand comme on le connaissait, comme on le considérait – il méritait d’être considéré comme nous le considérions – le sauvetage minimum. Nos réticences ne justifiaient pas de laisser la France entre les mains du gaullisme finissant, immobilier et crapoteux, sans vision et sans grandeur ! Il fallait bien faire bouger quelque chose. Il y avait une aspiration, une aspiration de renouvellement, dont nous nous sentions les garants. Nous n’avions pas tout à fait le rapport de force favorable quand même. Dans le PS, nous n’avons jamais pesé plus de 21 ou 22 %, hélas !

Est-ce que Mitterrand a pressenti la capacité que vous aviez à décentrer la gauche par les pratiques et les thèmes développés au Psu, donc que vous pouviez potentiellement occuper un terrain beaucoup plus vaste que lui ?

Oui, il était inquiet de la puissance de nos réseaux extérieurs, de la présence à l’opinion, mais aussi de nos relations étroites avec des réseaux constitués, notamment la Cfdt. C’est parfaitement clair. Mais la formule « deuxième gauche » était une erreur dans l’ordre de la communication. À travers ce mot, c’est notre appartenance au PS qui était discutée, le fait que nous appartenions à une organisation unique, démocratique, où l’on vote dans les congrès, où l’on discute et où l’on est sensé se convaincre.

Le fait de nous décrire comme un facteur étranger nous isolait. Je reconnais que j’ai ma part dans cette erreur avec le discours de Nantes. C’est probablement mon meilleur discours sur le plan de la richesse conceptuelle. Mon propos était de faire comprendre la fusion qu’il fallait opérer, les comportements qu’il fallait mélanger. Pour faire comprendre les comportements qu’il fallait mélanger, j’étais conduit à confronter le jacobinisme avec la décentralisation, le militantisme du tout politique, du tout électoral avec la société civile et l’idée de contrat. Et tout cela m’a amené au fond à décrire qu’il y avait deux gauches et qu’il fallait les mélanger. Ce que je n’aurais jamais dû faire – c’est une faute tactique – mais je l’ai compris en sortant de la salle.

Comment résumer votre rapport à la politique institutionnelle classique ? Vous l’avez dit à plusieurs reprises, vous êtes un militant politique, vous avez affirmé votre attachement à l’institution partisane, au parti comme institution. Pourtant, la deuxième gauche a aussi porté tout un discours contre la politique professionnelle. N’est-ce pas finalement un handicap de s’appuyer sur un courant qui soutient que la politique professionnelle doit disparaître, au profit notamment de la société civile ?

Naturellement. Mais pourquoi cette situation ? C’est un signe de non-maturité de cette gauche – à peine consciente d’être de gauche d’ailleurs – de cette population à haute préoccupation civique désireuse d’en découdre, vers plus de justice sociale, vers moins de guerres coloniales, plus de démocratie pratique. Toutes attitudes dont on peut convenir qu’elles correspondent à la gauche, qu’elles appellent une parenté de tous ces gens avec la gauche. L’action politique institutionnelle exige au contraire – on peut dire hélas, si l’on veut – un très grand professionnalisme dont nous avons un peu manqué.

  • *.

    Michel Rocard a publié récemment un livre d’entretiens avec le journaliste Georges-Marc Benamou, Si la gauche savait, Paris, Robert Laffont, 2005.