Analyse

Au Front national, le «ni droite, ni gauche», jusqu’à quand ?

En dépit de multiples clins d'oeil à l'électorat mélenchoniste, seule une partie marginale de celui-ci a choisi Marine Le Pen au second tour. De quoi favoriser une remise en cause de la stratégie du FN.
par Dominique Albertini, Photo Olivier Touron
publié le 8 mai 2017 à 10h30

«Ni de droite, ni de gauche» : voilà longtemps que ce slogan tient lieu de carte de visite pour le Front national. Il a particulièrement inspiré Marine Le Pen depuis son accession à la tête du parti, en 2011. Soutenue en cela par son vice-président Florian Philippot, voilà six ans que la frontiste tente de ressusciter l'hétéroclite majorité qui avait, en 2005, rejeté le Traité constitutionnel européen. Antilibéraux de gauche, souverainistes de droite : deux publics que Marine Le Pen croyait pouvoir réunir à nouveau derrière sa candidature. Cette stratégie aura guidé l'entre-deux-tours de la candidate : promettant de «remettre la France en ordre» et de «rendre leur argent aux Français», celle-ci aura en même temps multiplié les clins d'œil à l'électorat mélenchoniste, appelant à battre «l'oligarchie» et désignant en Emmanuel Macron un représentant du «monde de l'argent» dont elle serait, elle, l'adversaire résolue.

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Cette stratégie a-t-elle été payante ? Dimanche, ses résultats s’avéraient mitigés, au mieux. Certes historique, le score de Marine Le Pen ne représente pas moins la deuxième plus lourde défaite de second tour sur dix élections présidentielles, derrière celle de Jean-Marie Le Pen en 2002. Surtout, l’étude des reports de voix bat en brèche l’idée d’un FN également attractif pour la droite et pour la gauche. Selon l’institut Ipsos, la candidate a été soutenue par 20% des électeurs de François Fillon, mais seulement 7% de ceux de Jean-Luc Mélenchon. Mêmes ordres de grandeur chez l’institut Harris, avec des reports de voix estimés respectivement à 21% et 11%. De quoi renforcer ceux qui, au sein du FN, contestent la stratégie mariniste et plaident pour un ancrage à droite du parti, à l’image de la députée Marion Maréchal-Le Pen. Ceux-là redoutent que les accents gauchisants de Marine Le Pen, non seulement restent sans effet sur l’électorat visé, mais frustrent ou effraient le «peuple de droite».

«Le plus fort potentiel à droite»

«Aujourd'hui, quand l'institut Ipsos demande aux électeurs de se situer sur un axe allant de "très à gauche" à "très à droite", 80% de ceux qui se situent "très à droite" choisissent Marine Le Pen au premier tour, souligne l'historien Nicolas Lebourg. Autrement dit, les identités politiques classiques continuent à façonner le vote. Non que de "nouveaux clivages" ne viennent pas travailler les électeurs, mais ils se superposent et s'ajoutent aux anciens, qui ne disparaissent pas automatiquement». Le sociologue Sylvain Crépon juge, lui, que «le plus fort potentiel de ralliement pour le FN réside avant tout à droite, comme en témoigne le report de voix significatif des fillonistes. Il n'est pourtant pas sûr que Marine Le Pen saura réorienter son parti vers l'identité droitière à laquelle aspire une partie importante de celui-ci, et potentiellement son électorat. Au FN, la fidélité idéologique continue de primer sur le pragmatisme politique».

Autre enseignement des premières enquêtes post-élections : le faible report des électeurs de Nicolas Dupont-Aignan vers Marine Le Pen au second tour : 30% selon Ipsos, 39% selon Harris (variabilité qu’explique la faible taille de l’échantillon). Et ce, alors que l’ex-candidat de Debout la France s’est officiellement rallié à la frontiste entre les deux tours, et serait devenu son Premier ministre en cas de victoire. De mauvais augure pour le petit mouvement souverainiste dont plusieurs cadres ont déjà claqué la porte, en désaccord avec le parti de leur président.

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