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Gauche antilibérale : une candidature unique est-elle encore possible ?

L'intégralité du débat avec Sylvia Zappi, journaliste au "Monde", mercredi 6 décembre 2006.

Le Monde

Publié le 06 décembre 2006 à 17h26, modifié le 07 décembre 2006 à 18h37

Temps de Lecture 9 min.

Steven Latch :  Sans la LCR, LO et Bové, le front unitaire de la gauche du "non" est déjà bien entamé, au moins symboliquement. A ce stade, l'enjeu ne serait-il pas plutôt de savoir si, à partir du 11 décembre, les non-communistes vont accepter de grossir les rangs d'une candidature "PC plus" avec Mme Buffet comme candidate, ou si le PC va accepter de n'être qu'une force de soutien pour un candidat non issu de ses rangs, alors que ses deux rivaux historiques (LO, LCR) font campagne en leur nom propre ?  

Sylvia Zappi :  Vu le comportement de la direction du Parti communiste français (PCF), il paraît évident qu'ils ne veulent pas admettre que Marie-George Buffet n'est pas acceptée comme candidate unitaire. Et vont donc tout faire pour l'imposer lors de la réunion des collectifs les 9 et 10 décembre. La question va donc effectivement se poser à tous ses partenaires de soutenir ou non une candidature de Mme Buffet. Pour l'instant, ils ont tous juré qu'ils ne suivraient pas. Quant au front lézardé, il l'était déjà depuis le refus de Besancenot [Ligue communiste révolutionnaire, LCR] de suivre. Lutte ouvrière (LO), quant à elle, n'a jamais été dans le film en refusant dès la campagne du "non" d'être dans ce front antilibéral.  

Red-linger :  Les collectifs antilibéraux ont commencé à débattre et à se prononcer. Pour l'instant, il semble que la candidature de Marie-George Buffet soit largement en tête des choix exprimés. Les composantes du rassemblement seront-elles assez responsables pour accepter la démocratie et se rassembler derrière la candidate ?  

Sylvia Zappi :  C'est vrai qu'on peut percevoir le problème en termes de démocratie, car Mme Buffet semble pour le moment en tête. Il faut quand même attendre la fin de la semaine, car seuls 300 collectifs sur 800 se sont prononcés.

Mais la procédure arrêtée prévoyait un "double consensus" : c'est-à-dire qu'en plus du choix des collectifs, il fallait examiner celui de l'ensemble des mouvements politiques qui composaient le collectif national. Et là, il y avait unanimité contre l'option Buffet. Donc on peut aussi penser qu'il aurait été "responsable" de la part du PCF de comprendre qu'il devait mieux entendre ça, retirer Marie-George et accepter un candidat ou une candidate de consensus. 

I_bzh :  Face au doute, voire au désarroi, provoqué dans l'aile gauche des sympathisants du Parti socialiste (PS) après la désignation de Ségolène Royal, comment se fait-il que la gauche, dite extrême, soit incapable de faire taire ses divergences pour espérer capter ces voix ?   

Sylvia Zappi :  Il y a un vrai potentiel électoral à gauche depuis la nomination de Ségolène Royal et la gauche antilibérale pouvait espérer le capter. Mais ses querelles d'ego et l'incapacité du PCF à s'effacer devant le collectif ont eu raison de son unité. Mme Buffet voulait ramasser la mise. Elle risque de perdre la partie par manque de troupes et de votes.

Nicolas_Guyard :  Quel serait l'enjeu d'un tel rassemblement antilibéral – qui semble bien compromis – dans l'élection présidentielle ? Avoir un véritable poids politique et influencer un futur gouvernement de gauche, si celui-ci est élu, avec en ligne de mire les élections législatives ?

Sylvia Zappi :  L'enjeu était de montrer qu'une autre gauche que celle de Ségolène Royal était vivante, proposait une politique de rupture avec la logique dominante. C'était leur objectif en se rassemblant. Ces antilibéraux avaient concocté un programme de 125 propositions qui n'avait pas à rougir devant celui du PS. Quant à la participation gouvernementale, ils étaient clairs : ils ne voulaient pas participer à un accord avec le PS tel qu'il était, c'est-à-dire social-libéral.  

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Faf :  Est-ce que l'annonce du retrait de José Bové est définitive, ou peut-il encore revenir, sous la demande pressante des collectifs ?  

Sylvia Zappi :  Il a renoncé à sa candidature pour donner un coup de semonce face à l'attitude sectaire de la LCR et la tentation hégémonique du PCF. Il ne reviendra pas sur sa décision. D'autant qu'il s'est aussi aperçu qu'il n'avait pas tant de soutiens que ça dans les collectifs, et ne voulait pas affronter un vote minoritaire.  

Gab :  Si le rassemblement réussit à se faire, le PCF est-il en capacité (ou a-t-il la volonté) de renoncer à demander le soutien du PS pour les législatives ? Ne risque-t-il alors pas de perdre tous ses députés ?  

Sylvia Zappi :  Marie-George Buffet a singulièrement durci le ton à l'égard du PS depuis la nomination de Ségolène Royal. A ses yeux, cette dernière entraîne la gauche vers la droite avec ses valeurs d'ordre et de respect des équilibres économiques actuels. Il n'y a pour le moment aucun contact ni négociation entre les deux partis. Et vu le rétrécissement du rassemblement entraîné par la désignation attendue de la candidate du PCF, il risque de faire un petit score et de perdre son groupe parlementaire.  

Alain :  Existe-t-il vraiment un consensus idéologique entre les différents prétendants pour faire une gauche unitaire ?   

Sylvia Zappi :  Oui. Cela s'est vu lors de l'élaboration de leur programme. Malgré des histoires et des cultures politiques différentes, ils ont réussi à se mettre d'accord sur 125 mesures qu'un gouvernement de gauche prendrait s'ils arrivaient au pouvoir. Ce n'est pas rien. Mais il demeure encore des désaccords – sur le nucléaire, le droit de vote des étrangers ou encore la laïcité –, qu'ils assument.  

Ronald Duchene :  Clémentine Autain veut être la candidate de la gauche antilibérale mais critique ouvertement le Parti communiste. Pensez-vous qu'elle puisse créer son propre parti si elle n'est pas désignée par les collectifs ?  

Sylvia Zappi :  Non, ce n'est pas son projet. Elle ne souhaite pas ajouter un énième petit parti à gauche, mais veut rassembler de la LCR à la gauche du PS type Mélenchon.  

Benjamin_L :  Qui a intérêt à ce que le rassemblement antilibéral n'aboutisse pas ?  

Sylvia Zappi :  Sûrement la LCR, qui vise, avec la candidature de Besancenot, à ramasser en 2007 les votes à gauche du PS, et voyait les antilibéraux comme des concurrents gênants. LO idem. Quant au PS, il était partagé entre l'agacement au vu des critiques violentes contre son programme et sa candidate, et la volonté que toutes ces voix ne s'éparpillent pas trop avant le deuxième tour.

Jrmy :  La gauche antilibérale peut-elle se voir écrasée par le "vote utile" ?  

Sylvia Zappi :  C'est un risque. Beaucoup de gens de gauche, particulièrement chez les jeunes, ont peur d'un remake de 2002. Et le PS joue beaucoup avec ça. Mais en même temps, le profil pris par Royal apparaît tellement marqué par un recentrage du PS qu'il y a un espace pour une gauche qui s'assume. Encore faut-il qu'elle soit crédible en évitant de se déchirer.

Militant torontois :  Pour le militant de gauche à Toronto que je suis, je ne peux que m'émerveiller devant le poids des forces de la gauche antilibérale dans la vie politique française. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ces forces font preuve de tant de dynamisme en France, contrairement à ce qu'on constate au Canada et presque partout ailleurs dans le monde, sauf en Amérique latine ?

 
Sylvia Zappi : 
C'est vrai que c'est assez exceptionnel en Europe, mais pas dans le monde, avec les victoires de la gauche en Amérique latine par exemple. Il y a en France une histoire du mouvement ouvrier particulière qui a vu une gauche se contruire avec ses capacités de résistance plus fortes qu'ailleurs. On l'a vu avec certaines mobilisations sociales comme sur la réforme des retraites ou lors du mouvement anti-CPE. Et l'existence d'une extrême gauche a jusqu'à présent évité un virage des socio-démocrates vers le centre.  

Sarkozyump :  Qui, selon vous, serait le meilleur candidat de la gauche antilibérale ?  

Sylvia Zappi :  Difficile de répondre car il n'y a pas de candidat idéal. Il y a encore trois semaines, je pensais que Bové avait une aura et une notoriété supérieures à ses concurrents et que cela justifiait sa candidature. Depuis son retrait, il me semble que si l'on accepte l'argument que cela ne peut être une chef de parti comme Buffet, alors Clémentine Autain, par sa jeunesse et sa gouaille, peut incarner un peu plus le renouveau du personnel politique qu'Yves Salesse.  

Bugsy :  Quelle est la pierre d'achoppement entre le PCF et la LCR ?  

Sylvia Zappi :  La participation gouvernementale. Ou plutôt l'idée que s'en fait la LCR. Les antilibéraux n'ont cessé de répéter qu'ils n'iraient pas dans un gouvernement dominé par le social-libéralisme. Donc pas avec le PS tel qu'il est aujourd'hui. La LCR voulait voir écrit noir sur blanc qu'ils n'iraient jamais vers un accord avec le PS. Comme le PCF a refusé et paru hésiter avant la désignation de Royal, la LCR a juré que c'était bien la preuve de la duplicité des communistes. Mais ce n'est pas aussi simple.

Nonobstant :  L'attitude de la direction du PCF voulant imposer Mme Buffet comme candidate "commune" ne va-t-elle pas servir Olivier Besancenot ?  

Sylvia Zappi :  Probablement, et Alain Krivine ne cachait pas qu'il attendait ce scénario. Mais rien n'est sûr à cinq mois de l'élection : la déception de voir un vrai rassemblement réussir risque surtout d'entraîner les votes attendus vers le PS et l'abstention.

Zino :  Pour quelles raisons l'implication de militants communistes dans le rassemblement est-elle perçue comme un obstacle et non comme un chance ?  

Sylvia Zappi :  Il faut être un peu lucide ! Ce n'est pas la participation des communistes qui paraît un obstacle, mais leur subit engouement pour les collectifs ! On a vu en trois semaines des centaines de communistes débarquer dans les collectifs existants ou en créer de toutes pièces ! Pour mieux imposer Marie-George Buffet comme choix de candidate.  

Naty :  Faut-il craindre une multitude de candidatures à gauche, comme en 2002 ?  

Sylvia Zappi :  C'est la crainte du PS. Il a réussi à éviter celle de Taubira en faisant un accord avec le Parti radical de gauche (PRG). Il tente le même coup avec Chevènement mais n'y parvient pas pour le moment. Le candidat de la gauche antilibérale voulait, lui, rassembler et éviter la multiplication à l'extrême gauche. C'est mal parti.

Mouloud :  Que pensez-vous des propositions faites par Marie-George Buffet sur les candidatures, dans une lettre parue aujourd'hui ?  

Sylvia Zappi :  C'est le parfait décalque de ce qu'elle essaie de vendre à ses partenaires depuis des jours et dont ils ne veulent pas ! La secrétaire nationale du PCF propose aux différentes forces politiques du rassemblement antilibéral un collectif de porte parole – c'était déjà prévu –, de construire des collectifs partout (!), des candidatures communes pour les législatives et des apparitions communes à la télévision. Rien de nouveau. Cela ne leur fera pas avaler la pilule dont ils ne veulent pas : Marie-George Buffet candidate alors qu'elle est la numéro un du PCF.

Les collectifs antilibéraux doivent se réunir ce week-end à Paris pour entériner leur choix. Avec un décompte à la majorité, Marie-George Buffet va réussir à s'imposer. Mais elle risque d'entraîner une vraie déception. Et des départs massifs de gens qui ne voudront pas faire la campagne du PCF mais qui voulaient une campagne innovante et rompant avec la politique telle qu'elle se pratiquait jusqu'alors.  

Chat modéré par Constance Baudry

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