Aristote, père du Droit naturel

Si les individus ont recours à la force du gouvernement, c’est pour protéger ce qui leur appartient : leur vie, leur liberté et leurs biens

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Ethique à Nicomaque

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Aristote, père du Droit naturel

Publié le 24 février 2012
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Si les individus ont recours à la force du gouvernement, c’est pour protéger ce qui leur appartient : leur vie, leur liberté et leurs biens. Le politique ne dispose pas de la propriété des individus, il est à leur service.

Par Damien Theillier

En cette période de débat électoraux, de slogans et de petites phrases, il nous paraît salutaire de rappeler, avec les penseurs du Droit naturel, que la politique n’est pas le tout de la vie en société. Elle n’est ni un commencement, ni une fin. Avant la politique, il y a des individus qui s’associent pour rechercher leur subsistance en même temps que leur bonheur. Et s’ils ont recours à la force du gouvernement, c’est pour protéger ce qui leur appartient : leur vie, leur liberté et leurs biens. Mais le politique ne dispose pas de la propriété des individus, il est à leur service.

Or c’est précisément ce qu’affirme la théorie du Droit naturel, formulée d’abord par Aristote. Elle affirme qu’il y a un contenu dans tout système juridique qui ne dépend pas de la volonté du législateur et qu’il y a donc des règles qui s’imposent au législateur. Est dit de Droit naturel ce qui est universellement valide, en tout lieu et en tout temps. Est dit de droit positif ce qui est en soi indifférent mais qui s’impose à tous par suite d’un choix conventionnel et contingent.

Alain Sériaux, auteur d’un Que Sais-je sur le sujet [1], rappelle que « le terme relativement récent de « droit » n’appartient pas au vocabulaire des Anciens. Chez eux, le droit se dit « le juste » : to dikaïon, en grec ; iustum, en latin. Aussi, lorsqu’Aristote consacre le livre V de son Éthique à Nicomaque à l’étude de la vertu de justice, c’est sans hésitation aucune qu’il lui donne le « juste » pour objet spécifique. Dix-sept siècles plus tard, Saint Thomas d’Aquin, dans la Somme Théologique, adoptera encore la même démarche : elle est au cœur de la pensée classique. » [2]

Ainsi Aristote distingue entre un juste naturel et un juste positif ou conventionnel :

La justice politique elle-même est de deux espèces, l’une naturelle, l’autre légale. Est naturelle celle qui a partout la même force et ne dépend pas de telle ou telle opinion ; légale celle qui à l’origine peut être indifféremment ceci ou cela, mais qui une fois établie, s’impose : par exemple, que la rançon d’un prisonnier est d’une mine, ou qu’on sacrifie une chèvre et non deux moutons, et en outre toute les dispositions législatives portant sur des cas particuliers, comme par exemple le sacrifice en l’honneur de Brasidas et les prescriptions prises sous formes de décrets. [3]

Il y a donc bien l’idée d’un juste naturel chez Aristote, la justice naturelle étant celle qui a partout la même force et ne dépend pas de telle ou telle opinion. Distinguer entre le juste et l’injuste suppose un travail de la raison pour découvrir ce qui est conforme ou non à la nature universelle de l’homme dont la fin, le bonheur, exige la réalisation de certaines dispositions de l’âme, elles-mêmes naturelles et universelles.

Dans la pensée grecque, est naturel ce qui correspond à la croissance normale d’un organisme vivant. Tout être vivant a une finalité interne. Quand la croissance est atteinte, cette finalité interne est atteinte. Or, il y a une dimension téléologique dans l’existence humaine. Il y a même une pluralité de fins qu’on peut hiérarchiser : la conservation de la vie, le bonheur, la liberté, la justice. C’est aussi ce qu’on appelle les biens fondamentaux.

L’expression « droits de l’homme », à laquelle se rallient beaucoup de juristes, souscrit implicitement à l’idée d’un Droit naturel car elle vise les droits liés avant toute législation positive à l’humanité même de l’homme. Sans cette norme morale supérieure, il n’y aurait plus d’instance critique capable d’interpréter et de mettre en question l’ordre juridique.

Cette idée rappelle que le Prince (tout comme les présidents actuels) ne dispose pas de la justice elle-même mais qu’il est lui-même soumis à une loi qui le dépasse et doit réguler son jugement. Le droit positif pose l’ordre du juste politique, mais ne dispose pas de la justice elle-même. S’il n’y a que le droit positif, dit Aristote, Créon aura toujours raison, même quand il a tort. Mais si nous maintenons l’idée régulatrice d’un Droit naturel, Antigone pourra se dresser le moment venu et invoquer contre une loi injuste, le droit supérieur de la loi non écrite.

La politique, dans la pensée d’Aristote, ne peut donc être séparée de la morale. Ainsi, selon Aristote « la fin de la Politique sera le bien proprement humain. » (Éthique à Nicomaque, L.I, ch.1) La question « Comment dois-je vivre ? » se prolonge dans la question « Comment la cité doit-elle être gouvernée ? » En effet, dit en substance Aristote dans Les Politiques, l’homme ne peut s’accomplir pleinement que dans une vie en société, par la coopération et l’amitié. La morale conduit à la politique et la politique a une fin morale.

—-
Sur le web. Article publié sur 24hGold.

Notes :
[1] Le droit naturel, n°2806, PUF, 1993.
[2] A. Sériaux, op. cit., p. 34.
[3] Aristote, Éthique à Nicomaque, V, 10, 1134b 18-23.[/note]

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  • Je relis en ce moment « La psychologie du socialisme » de Gustave le Bon. Son analyse à propos des points de vue de Platon et Aristotle est fort intéressante :

    « Sans remonter au communisme primitif, forme d’évolution
    inférieure par laquelle ont débuté toutes les sociétés,
    nous pouvons dire que l’antiquité à expérimenté les
    formes diverses du socialisme qui nous sont proposées
    aujourd’hui. Les Grecs, notamment, tentèrent leur réalisation.
    C’est même de ces dangereuses expériences qu’ils
    ont fini par mourir. Les doctrines collectivistes sont déjà
    exposées dans la République de Platon. Aristotle les combat,
    et, comme le dit monsieur Guiraud en résumant
    leurs écrits dans son livre sur la Propriété foncière des
    Grecs : « Toutes les doctrines contemporaines, depuis le
    socialisme chrétien jusqu’au collectivisme le plus avancé,
    y sont représentées. »
    Ces doctrines furent plusieurs fois mises en pratique.
    Les révolutions politiques grecques étaient en même
    temps des révolutions sociales, c’est-à-dire des révolutions
    ayant pour but de changer l’inégalité des conditions
    en dépouillant les riches et opprimant les aristocraties.
    Elles réussirent plusieurs fois, mais d’une façon toujours
    éphémère. Leur résultat final fut la décadence hellénique
    et la perte de l’indépendance. Les socialistes de
    cette époque ne s’accordaient pas mieux que ceux d’aujourd’hui,
    ou tout au moins ils ne s’accordaient que pour
    détruire. Rome mit fin à leurs perpétuelles dissensions
    en réduisant ·la Grèce en servitude et faisant vendre ses
    habitants comme esclaves. »

  • Un rappel qui tombe juste et à point, merci !

    La politique n’est qu’un moyen d’action, et il convient de juger, comme en n’importe quel autre domaine, ceux qui usent de ce moyen d’après leurs actes réels pris en tant que leurs véritables intentions, révélées par leurs actes: en politique, les fins sont les moyens, les moyens sont les fins.

  • Enfin un article intéressant de philosophie politique, je dirai même article fondamental.

    Cette conception des rapports de la morale et de la politique, implique que le Prince ne doit se considérer que comme dépositaire du droit positif car il sait que ce droit positif est historique, et qu’il doit accepter qu’il évolue pour aller dans la direction du droit naturel qui lui, est est UNIVERSEL, et dont le fondement est l’EGALITE.

    Tout aussi importante que l’inséparabilité de la liaison de la morale et de la politique est le lien d’identité qui relie la liberté et la raison, notions qui tendent aussi à l’universalité.

    C’est cette prétention du droit positif à l’universalité qui interdit le choix aristocratique du Prince.

    La logique perdue de cette pensée nous a fait perdre 25 siècles avant de redécouvrir les principes de la vraie démocratie. Elle implique que le Prince est Prince parmi les Princes ET sujet parmi les sujets, il ne doit y avoir aucune distinction entre gouvernant et gouverné.

    Il faut aller au bout de cette logique et conclure que le retour à la démocratie grecque telle que la concevait Aristote, (et telle qu’elle a existé pendant plus de 2 siècles),et compte tenu que la contrainte du nombre impose un système de Représentation, rend le Tirage au Sort seul capable de faire accepter la Représentation en lieu et place de la démocratie directe quand celle-ci n’est pas intégralement applicable.

    (Comme C. Castoriadis on doit en effet considérer que la représentation est (en droit juridique,positif) aliénation de propriété, et en tant que telle inacceptable dans le principe.
    Seule une rotation rapide de la charge politique entre des citoyens représentant équitablement la sociologie de la population, et dont l’imprévisibilité de la désignation limite la possibilité pour les lobbies d’exercer des pressions antérieurement à la nomination, et permettant à chacun d’aspirer à l’exercice du pouvoir de façon équitable

    C’est pourquoi toutes les déclarations prétendant décrire LE droit naturel, et qui ne peuvent se décliner dans des termes de droit positif doivent être elle-mêmes être considérées avec circonspection car historiques.

    Et l’universalité du droit naturel implique aussi que le Prince

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