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Positivisme juridique

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Le positivisme juridique est un courant en théorie du droit qui propose une conception scientifique et empirique du droit et s'intéresse davantage au droit tel qu'il existe dans la société, au droit en vigueur, plutôt qu'au droit tel qu'il devrait être. En tant qu'entreprise théorique et descriptive, elle ne cherche pas à porter des jugements de valeur sur une base morale, mais plutôt des critères neutres et objectifs même s'il est admis que le droit crée des obligations morales. Sur le fondement et les finalités du droit, se dégage un débat qui oppose le jusnaturalisme au juspositivisme.

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Définition du positivisme juridique

Selon l'affirmation d'une bonne partie des philosophes juridiques, il est acquis que le positivisme juridique est une tradition fondée par Jeremy Bentham, d'après l'axiome qu'il faut décrire le droit tel qu'il est et non tel qu'il devrait être. Bien que pour sa part Bentham inscrive son débat sur la nécessité et les fondements d'une rationalisation du droit britannique, la paternité du positivisme juridique a été attribuée à Bentham. D'autres, faisant une lecture attentive des écrits de Bentham, contestent cette affirmation. En effet, Bentham n'a pas eu la prétention de faire une description neutre du droit ni d'écarter la détermination du devoir-être en droit, plutôt que décrire le droit, Bentham s'est préoccupé de réformer le droit, dénonçant le droit britannique d'être un système archaïque, arbitraire et incohérent. Bentham est aussi connu pour avoir dénoncé les droits naturels, notamment en critiquant la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen issu de la Révolution française.

Toutefois, la formule de séparation postulée par Bentham reste substantielle à celle contemporaine et classique entre droit et morale.

La position épistémologique dans le couple d'opposition « être et devoir-être » peut être retrouvée aussi dans la distinction de Hume entre faits, d’un côté, normes et valeurs, de l’autre, par conséquent, on ne saurait inférer des jugements de valeur à partir de jugements d’existence.

L'objet de connaissance du positivisme juridique est le droit positif et se caractérise par une méthodologie de séparation du droit et de la morale (principe de séparation), ou du moins de considérer qu’il n’existe pas entre eux de connexion nécessaire (Herbert Hart), soit que la connaissance du droit ne dépende d’aucune évaluation morale, soit que le contenu du droit ne dépende pas de la morale. Cette position méthodologique dans la compréhension du phénomène juridique pourrait être qualifiée comme une méthode Wertfreiheit ou de neutralité éthique. La principale raison de cette neutralité est, selon les juspositivistes, que le positivisme juridique n'étant pas une théorie normative, elle n'indique pas une conduite particulière à tenir, elle ne détermine aucune morale et par conséquent n'indique pas non plus comment le droit doit fonctionner.

Pour Hans Kelsen (normativisme), la Théorie pure du droit ne doit s'occuper que du droit réel, c'est à dire, du droit susceptible d'une approche expérimentale tangible et objective. Dans cette optique, l'objet d'études du positivisme juridique se concentre sur les normes juridiques en vigueur à un instant donné, dans un lieu donné. D'après Kelsen : « la connaissance scientifique du droit positif, ne vise pas à le justifier par un ordre moral distinct, la science du droit n'ayant pas à approuver ni à désapprouver son objet, mais uniquement à le connaitre et à le décrire. »[1].

Paul Laband, juriste strasbourgeois, a résumé aussi « Le rôle scientifique de la dogmatique juridique, dans un droit positif déterminé, consiste à analyser les formes juridiques, à ramener les notions particulières à des principes plus généraux et à déduire de ces principes les conséquences qu’ils impliquent. Tout cela, abstraction faite de l’exploration des règles de droit positif, de la connaissance approfondie et de l’entendement complet de la matière que l’on traite, est un travail d’esprit purement logique. Pour remplir cette tâche, il n’y a pas d’autres moyens que la logique. Rien ne peut ici la remplacer ; toutes les considérations historiques, politiques et philosophiques, si précieuses qu’elles puissent être en elles-mêmes, sont sans importance pour la dogmatique d’un droit concret et ne servent trop souvent qu’à voiler le manque de travail systématique. »[2].

Le positiviste et juriste britannique John Austin a défendu la thèse selon laquelle le droit est l’expression de la volonté du souverain, et que toute loi ou règle est un commandement ou espèce de commandement, à savoir un souhait ou désir conçu par un être rationnel. Commandement et devoir sont des termes corrélatifs, chaque fois qu'un commandement est signifié, un devoir s'impose.[3] Austin développe une théorie dite impérativiste selon laquelle la loi positive est un commandement émanant des détenteurs du pouvoir politique.

La thèse de Austin rejoint l'approche de Jeremy Bentham et sa définition de la société politique par laquelle le peuple constitué par l’habitude d’obéir est donc lui-même le principe du pouvoir.[4] La théorie austinienne du droit comme commandement émanant d'un souverain est aussi dérivée de la théorie de la souveraineté et de la légitimité politique de Thomas Hobbes.

Norberto Bobbio distingue trois significations du mot juspositivisme, sans lien nécessaire entre elles : une idéologie selon laquelle le droit doit être obéi, une théorie du droit comme un ensemble de commandements sanctionnés et, en dernier lieu, un mode d'approche spécifique, caractérisé par la volonté de construire une science du droit.[5]

Certains juspositivistes récusent l'idée que la distinction et opposition entre «  être et devoir-être » soit une thèse justifiant le positivisme juridique. Toujours selon eux, la dispute entre positivisme juridique et jusnaturalisme non seulement elle n'est pas pertinente, elle ne nous éclaire pas plus sur la connaissance et nature du droit, par conséquent ce clivage doit être abandonné.

Remarques critiques

Réduire le droit comme une simple expression unique de la Loi, d'une volonté de l’État et sa capacité de contrainte et de coercition, peut nous faire sombrer dans certaines difficultés et erreurs. De la même manière, réduire l'étude du droit à la seule question de la théorie de la loi positive, écarte de fait la potentielle possibilité d'évaluer le droit, de le valider ou pas. La conception positiviste du droit n'offre pas une garantie suffisante pour acquérir les bases et matériaux de la compréhension de la nature du Droit, elle ouvre plutôt la voie qui tend à sacraliser ou révérer les lois édictées par les pouvoirs étatiques ou politiques.

Effectivement, s'il est important de décrire les propositions de droit, il est indispensable de saisir le débat sur leur bien-fondé. Il est aussi important de ne pas négliger les questions de ce que veulent exprimer les dites propositions, pour ainsi mieux saisir avec une certaine connaissance de cause l'institution juridique et les pratiques juridiques.

Il est tentant pour un positiviste de définir le droit uniquement comme une relation verticale entre ceux qui donnent des ordres et des commandements, et ceux qui obéissent aux ordres et commandements, en sorte que le droit, de ce point de vue, se réduirait à un système de règles coercitives, comme dans le droit pénal.

Le positivisme juridique, ne pose pas premièrement la question de ce que sert de base pour la validité du droit et de la justice, considérant le droit naturel et ses principes éthiques comme une pièce de musée. Selon les tenants positivistes, le droit naturel serait un système uniquement valable sur un terrain considéré métaphysique, particulièrement spéculatif n'offrant aucune description observable. Le juspositivisme soutient encore que le jusnaturalisme est essentiellement basé sur des désirs, convictions et émotions, mais de quel Droit parle-t-on s'il est déconnecté de tout questionnement légitime sur la nature humaine ? comment peut-on qualifier le droit si on perd de vue toute connexion avec ce que sont les hommes dans leurs activités quotidiennes ?

Doit-on considérer le droit et ses principes comme une exclusivité du législateur et de l'État ? les interprétations des juges et des législateurs ne présentent-elles quelques défaillances et erreurs ? mais si le droit naturel est parfois accusé d'absolutisme moral, cependant, doit-on confier le pot de crème à la garde de l'absolutisme étatique ?

Beaucoup considèrent le droit naturel comme un idéal dépassé et sans importance dans le monde actuel, tandis qu'à l'opposé, la conception du droit positif, serait la seule conception réaliste capable de résoudre les conflits d'actualité. Mais la plupart des conflits dans le monde ne sont-ils pas gouvernés par l'idée de l'existence d'injustices ? devons-nous rester aveugles, impuissants ou dans l’indifférence à l’égard des valeurs de justice ?

Les positivistes, en considérant que le droit naturel n'est qu'une chimère mystique ou métaphysique, tombent précisément dans le travers qu'ils dénoncent lorsqu'ils fondent eux-mêmes le droit positif sur plusieurs actes de foi : les gouvernants seraient légitimés à édicter des lois, qui seraient toujours bonnes ; ces lois posséderaient une nature obligatoire per se ; les sanctions à tout manquement à ces lois seraient nécessaires et légitimes. Comme le rappelle Leo Strauss, il y a eu, et il y a clairement des lois injustes ; refuser d'admettre cela revient à affirmer que le seul droit résulte de la loi du plus fort.

Citations

  • « Rejeter le droit naturel revient à dire que tout droit est positif, autrement dit que le droit est déterminé exclusivement par les législateurs et les tribunaux des différents pays. Or, il est évident et parfaitement sensé de parler de lois et de décisions injustes. En portant de tels jugements, nous impliquons qu'il y a un étalon du juste et de l'injuste qui est indépendant du droit positif et qui lui est supérieur : un étalon grâce auquel nous sommes capables de juger du droit positif ». (Leo Strauss)
  • « Ainsi donc, d’une part, les concepts de Droit et de Tort ont fort bien une valeur dans l’état même de nature, et ne sont point du tout conventionnels ; mais dans cet état, ils n’ont que la valeur de concepts moraux, et ont simplement rapport à la connaissance que chacun possède de la volonté résidant en lui. Dans l’échelle, formée de degrés si multiples et si écartés, où se marquent les affirmations plus ou moins énergiques de la volonté de vivre dans chaque individu humain, ces concepts représentent un point fixe, pareil au zéro du thermomètre : le point où l’affirmation de ma volonté devient la négation de la volonté d’autrui, le point où elle donne, par un acte injuste, la mesure de sa violence et en même temps la mesure de la force avec laquelle son intelligence s’attache au principe d’individuation, car ce principe est la forme même d’une intelligence entièrement asservie à la volonté. Maintenant, si l’on met de côté cette façon toute morale de considérer les actions humaines, ou si on la nie, alors rien de plus naturel que de se ranger du côté de Hobbes, et de regarder le droit et l’injuste comme des notions conventionnelles, établies d’une manière arbitraire, et par suite dépourvues de toute réalité en dehors du règne des lois positives. (...) Peu à peu l’égoïsme, guidé par la raison, procédant avec méthode, et dépassant son point de vue insuffisant, découvre ce moyen, et le perfectionne par retouches successives ; c’est enfin le contrat social, la loi ». (Arthur Schopenhauer)
  • « Du point de vue de la science juridique, le droit sous le régime nazi était le droit. Nous pouvons le regretter, mais nous ne pouvons nier que ce fût le droit ». (Hans Kelsen - « Théorie générale du droit et de l'État »)
  • « La relation entre droit, convention et éthique ne constitue pas de problème pour la sociologie. Pour elle, un critère éthique consiste en ce qu'il applique une sorte spécifique de croyance rationnelle en valeur, considérée comme norme, à l'activité humaine; celle-ci, revendiquant le prédicat du « bien moral » comme l'activité qui revendique le prédicat du « beau », se mesure par là aux critères esthétiques. Les représentations de normes éthiques en ce sens peuvent avoir une influence très profonde sur l'activité et pourtant être dépourvues de toute garantie extérieure. [...] Toute éthique qui a une « validité » effective est d'ordinaire garantie, dans une très large mesure, par la chance que toute violation sera réprouvée, c'est à dire qu'elle est garantie conventionnellement. [...] Le type le plus pur de la validité rationnelle en valeur est représenté par le « droit naturel » ». (Max Weber - « Économie et société »)

Notes et références

  1. H. Kelsen, Théorie pure du droit, Dalloz, 1962, 2e éd., trad. Ch. Eisenmann (rééd., LGDJ-Bruylant, 1999)
  2. P. Laband, « Préface à la deuxième édition allemande », Le droit public de l’Empire allemand, t. 1, trad. fr. Gandilhon, Paris, 1900, p. 9.
  3. John Austin, The Province of Jurisprudence Determined (1832)
  4. Bentham, Fragment sur le gouvernement (1776).
  5. Norberto Bobbio, positivismo giuridico, Torino, Giappichelli, 2e éd. 1979, p. 151.

Liens


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