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Casseurs: combien de temps va-t-on laisser faire l’extrême gauche?

Les black blocs cassent et ce sont la police et les vrais gilets jaunes qui prennent


Casseurs: combien de temps va-t-on laisser faire l’extrême gauche?
Champs-Elysées, Paris, 16 mars 2019. ©Marin Driguez/SIPA

Le très violent acte XVIII du 16 mars dernier sur les Champs-Elysées l’a montré: les black blocs d’extrême gauche cassent et ce sont la police et les vrais gilets jaunes qui prennent. Combien de temps vont durer ce laisser-faire et cette manipulation ?


Le saccage des Champs-Élysées lors de l’acte XVIII des gilets jaunes signe tristement l’échec simultané de l’État et du mouvement des ronds-points. Il signe aussi une odieuse instrumentalisation, peut-être double. Instrumentalisation certaine des gilets jaunes par l’extrême gauche, instrumentalisation possible de l’État par le gouvernement. Mais plus profondément, c’est surtout la marque d’un échec de notre société tout entière, dont nous devons absolument prendre collectivement conscience si nous voulons redresser la barre avant qu’il ne soit trop tard.

La police a ses responsabilités

Il ne s’agit pas d’exonérer les forces de l’ordre de toute responsabilité dans la situation du samedi 16 mars. Certes, les règlements de compte de l’affaire Benalla ne sont probablement pas étrangers aux divers limogeages au sein de la police nationale. D’un autre côté, il n’est pas anormal qu’un tel fiasco opérationnel ait des conséquences pour les chefs du dispositif. Mais il serait injuste de faire porter à outrance sur les hommes les dysfonctionnements d’un système, depuis longtemps identifiés.

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La préfecture de police de Paris est un Etat dans l’Etat au sein de la Police nationale, et les dissensions entre les deux structures ne sont un secret pour personne – je renvoie notamment aux tensions entre la BRI et le RAID lors des attentats. Ajoutons à cela les gendarmes, de plus en plus employés en zone police nationale pour pallier les difficultés de celle-ci à engager massivement ses effectifs, en raison d’une part des rythmes horaires de ses fonctionnaires, et d’autre part du cloisonnement entre services qui limite considérablement les possibilités de bascules de forces. Les difficultés de coordination sont inévitables, et tout cela est bien connu.

Qui le gouvernement protège-t-il vraiment ?

Moins connue sans doute est la concentration des forces autour des palais nationaux qui, depuis le début des manifestations des gilets jaunes, prend une ampleur inédite. Il n’est pas choquant de veiller à la sécurité de l’Élysée, de l’Assemblée et du Sénat, bien au contraire. Mais le regroupement des moyens autour de ces lieux, imposé par l’autorité politique, atteint désormais des proportions gênantes sans justification opérationnelle, et s’ajoute à la concentration des moyens sur Paris au détriment de la Province. Tout ceci impose de se demander si la sécurité des gouvernants ne finit pas par se faire au prix de la sécurité des gouvernés…

Et s’il serait absurde d’accuser le gouvernement de provoquer les débordements – l’extrême gauche s’en charge très bien sans qu’il soit nécessaire de l’y aider – il serait tout aussi absurde de nier les avantages politiques qu’il en retire. Alors même que le Premier ministre Édouard Philippe tente de désamorcer un « risque déceptif important » à l’annonce des résultats du « grand débat », décrédibiliser un peu plus le mouvement qui en est à l’origine ne peut pas nuire. De là à penser qu’il est préférable de guérir que de prévenir, et que cela limite l’attention portée aux alertes des services de renseignement, il n’y a qu’un pas…

Exiger que des têtes tombent est peut-être inutilement vindicatif, mais puisque le gouvernement a lui-même cédé à la tentation de la « purge », un geste fort comme la démission du ministre de l’Intérieur serait au moins de nature à éviter que l’on soupçonne l’autorité politique de « laisser faire » en utilisant les cadres de la police comme fusibles. En d’autres temps, on appelait cela l’honneur.

Les black blocs ne sont pas des gilets jaunes

Du point de vue des gilets jaunes, force est de reconnaître que l’échec est plus grave encore. Beaucoup de commentateurs ont fait un parallèle avec la fameuse journée du 1er décembre, et les affrontements de l’Arc de Triomphe. La comparaison est largement fondée, mais il y a tout de même une différence de taille. En décembre, alors que des casseurs voulaient s’en prendre à la tombe du Soldat inconnu, des gilets jaunes l’avaient défendue. Ceux-là auraient-ils été immédiatement reçus à l’Élysée, marque de respect pour leur courage républicain malgré les désaccords, que bien des difficultés auraient été évitées depuis. Malheureusement, il n’en fut rien. À présent, il semble que les défenseurs de la tombe aient quitté les manifestations parisiennes, et que seuls les casseurs y reviennent. Les gilets jaunes de la première heure, ceux des agoras spontanées sur les ronds-points, ont été dépossédés de leur mouvement par l’extrême gauche. Cette même extrême gauche, d’ailleurs, qui au commencement les traitait de fascistes et de chemises brunes, n’est-ce pas Jean-Luc Mélenchon ?

Et le patron de la France Insoumise a beau jeu de feindre de s’offusquer de l’engagement des militaires de Sentinelle : contrairement à ce qu’il prétend, il n’est pas prévu de les employer pour des missions de maintien de l’ordre face à des manifestants, mais de protection d’édifices publics contre des groupes qui voudraient les saccager. Ne confondons pas.

L’extrême gauche, idiote utile de Macron

Hélas ! Le magnifique élan citoyen des débuts sert désormais trop souvent de caution à une idéologie délétère que l’on voyait déjà noyauter les ZAD comme Notre-Dame-des-Landes, ou encore Nuit Debout, mélange étrange de fantasmes sur le « grand soir » et de complotisme de bas étage, de gauche-bobo et d’islamo-gauchisme, d’anarchisme chaotique et de tentation totalitaire sous couvert d’écologie. Alain Finkielkraut en a d’ailleurs fait la douloureuse expérience… Il est rageant de voir le mouvement des gilets jaunes, qui à l’origine était une exigence de citoyenneté et de démocratie, être ainsi récupéré et trahi par des gens dont le point commun essentiel est de fantasmer sur la « violence purificatrice » et la condamnation des désaccords au détriment du débat démocratique.

Dans cette récupération écœurante, Emmanuel Macron et son gouvernement ont aussi une part de responsabilité. Attachés à décrédibiliser leurs opposants, ils n’ont pas voulu voir qu’il était nécessaire de distinguer ceux qui voulaient profaner la tombe du Soldat inconnu de ceux qui l’avaient défendue, et qu’il fallait impérativement apporter aux deux des réponses radicalement différentes, tant au plan politique qu’au plan sécuritaire. Il y a ceux qu’il faut écouter, et ceux qu’il faut réprimer. Las ! En s’empressant de se tourner vers les « banlieues » sous prétexte de répondre à la « France périphérique », Emmanuel Macron ne faisait que préparer le terrain à Eric Drouet pour s’engager vers la « convergence des luttes » et adouber, sans forcément le vouloir, les destructeurs de l’Arc de Triomphe : mélange de blacks blocs et de casseurs de « cités », déjà. C’est, au fond, le même choix que celui qui conduisit Jean-Luc Mélenchon à rejeter Djordje Kuzmanovic.

Les conséquences du mépris

Il y a plus. En refusant de prendre au sérieux dès le départ le besoin de dignité des gilets jaunes, le gouvernement a envoyé un message délétère, à l’image de ses prédécesseurs depuis trop longtemps : seule la casse permet d’être entendu. En réprimant sans discernement, en étant fort avec les faibles et faible avec les forts, il a contribué à décrédibiliser l’idée même de répression, pourtant nécessaire. En accumulant depuis décembre les « petites phrases » méprisantes, le président a favorisé la radicalisation du mouvement, ou du moins l’influence en son sein de ses éléments les plus radicaux. En esquivant soigneusement toute interrogation sur la légitimité de son pouvoir et de son action pour ne parler que de leur légalité, en faisant volontairement l’amalgame entre ces deux notions, il a favorisé la confusion qui aboutit aujourd’hui à ce que le rejet du gouvernement devienne un rejet de l’État et de la légalité.

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Responsabilité partagée par tous ceux qui ont voulu présenter les ronds-points comme des repères de la « peste brune », ou qui à l’inverse se montrent bien indulgents face à des violences absurdes. Combien d’intellectuels et de médias se donnent encore la peine de distinguer les gilets jaunes de la première heure des casseurs d’aujourd’hui ? Combien argumentent en faveur des fondements citoyens du mouvement des premiers, et simultanément savent démonter les discours spécieux des seconds ? Combien savent voir que, depuis des décennies, la France est devenue une « gueulocratie », où la légitimité et la pertinence d’une revendication comptent infiniment moins que la capacité de nuisance de ceux qui la portent ? Combien dénoncent les préjugés bien-pensants de ceux qui ont l’hypocrisie de se prétendre démocrates « en même temps » qu’ils passent leur temps à condamner les demandes du peuple ? Combien font ces élémentaires efforts d’honnêteté et de rigueur ? Des contributeurs de Causeur, de Marianne, Alain Finkielkraut, Michel Onfray, quelques autres, trop peu nombreux.

Mais ce n’est pas tout. Ce n’est peut-être même plus l’essentiel.

L’ordre réclame la force

Le 16 mars, la France a donné une image d’impuissance et de chaos. Cette image n’est évidemment pas la réalité, elle n’est qu’un focus déformant, mais elle est. Et elle risque d’encourager à l’avenir d’autres débordements du même ordre, voire pire, quels qu’en soient les auteurs, quelles que soient leurs motivations.

Comme à Notre-Dame-des-Landes, comme lors des occupations d’universités et de la désastreuse « commune libre de Tolbiac », comme face à des « violences urbaines » dans les quartiers dits sensibles, ou pompeusement renommés de reconquête républicaine, l’autorité politique n’a qu’une obsession, qu’une priorité : pas de « bavure ». Le « camp d’en face » désire par-dessus tout un martyr, ne lui en offrons pas. Et jamais on ne se préoccupe de démonter les mécanismes qui conduisent à faire d’un casseur blessé une figure héroïque…

Légitime ou non, cette approche revient à envoyer les forces de l’ordre au « front » avec un bras attaché dans le dos, et les dernières évolutions législatives n’y changent rien. Si la priorité est d’épargner l’adversaire et non de mettre fin à ses exactions, il serait hypocrite de s’étonner de la relative impuissance des gendarmes et policiers face à des groupes qui, eux, sont déterminés à faire usage d’une extrême brutalité.

Car il faut le répéter : ce ne sont pas des gilets jaunes des ronds-points qui ont saccagé les Champs-Élysées, ce ne sont pas des citoyens arrivés au bout d’une légitime exaspération que l’État refuserait d’entendre. Ce sont des black blocs, des pillards, des casseurs issus des « quartiers », des « antifas » et des militants d’extrême gauche, dont certains sont même venus de l’étranger pour l’occasion. Il est impossible de les maîtriser en se contentant des modes d’action qui seraient légitimes face à de « simples » manifestants en colère, et il est ridicule de prétendre vouloir le faire.

Quand les casseurs portent une robe

Mais le gouvernement n’est pas seul responsable de l’écosystème culturel et médiatique du pays qu’il gouverne, même s’il l’influence. Il n’est pas responsable de la réaction inévitable de nombreux médias, qui s’empresseraient de dénoncer d’intolérables brutalités policières là où ils dénoncent aujourd’hui l’inaction. Et c’est la raison pour laquelle nous avons le devoir de nous interroger sur notre responsabilité collective. Policiers, gendarmes ou militaires ne peuvent pas se cantonner à des postures défensives face à la sauvagerie des casseurs. Ils ont besoin de reprendre l’initiative, de dissuader, en somme de pouvoir rendre les coups, au propre comme au figuré. L’opinion publique, centre de gravité stratégique d’une démocratie, est-elle prête à l’accepter ?

Au passage, cela inclut également la riposte judiciaire, qui comme souvent laisse à désirer : trop sévère envers les citoyens ordinaires qui se laissent emporter, mais trop douce pour être dissuasive envers les véritables casseurs. Juridiquement parlant, qui risque le plus : le commerçant qui tente de repousser des pillards, ou les pillards qui s’en prennent à son magasin ? Dramatique inversion des valeurs.

Les bienveillants de l’extrême gauche

Plus généralement, ce qui s’est passé le 16 mars aux Champs-Élysées n’est que la conséquence logique de décennies de complaisance envers l’extrême gauche, complaisance politique, médiatique et judiciaire. L’aveuglement surréaliste d’Anne Hidalgo, qui accuse l’extrême droite d’être responsable des saccages de l’acte XVIII pour en exonérer une idéologie que manifestement elle protège, en est l’illustration ubuesque. En réalité, si l’extrême gauche était traitée de la même manière que l’extrême droite il n’y aurait pas eu tous ces débordements. J’irai plus loin : si l’extrême gauche était traitée comme l’ont été les simples gilets jaunes, la Manif pour Tous, ou les ouvriers victimes de délocalisations et abandonnés par les gouvernements successifs, il n’y aurait pas eu tous ces débordements.

Pour l’illustrer, c’est de la même absurde complaisance que bénéficient les djihadistes. On a envers eux des pudeurs indécentes, et des égards dont ne bénéficient pas leurs victimes, ni les citoyens ordinaires. Combien l’État investit-il pour un djihadiste, pour le rapatrier, essayer de le réinsérer, le faire bénéficier de la mascarade de la « déradicalisation » ? Et combien ce même État investit-il pour un jeune qui ne demande qu’à vivre honnêtement, qui n’agresse pas, ne trafique pas, ne casse pas ?

Il est urgent de méditer les analyses que faisait Ibn Khaldoun dès le XIVe siècle sur la mort des empires, et d’en tirer les conséquences nécessaires. N’oublions pas qu’entre autres choses, le père de la sociologie pointait les dérives de l’hyper-fiscalisation qui s’abat sur le citoyen solvable, pendant que les marginaux insolvables bénéficient d’une lâche complaisance. Il parlait aussi de l’acceptabilité de l’emploi de la force, et de l’angélisme suicidaire des sociétés qui se désarment moralement. Un Etat qui renonce à défendre ses citoyens se condamne et les trahit, tout comme ses alliés et tous ceux qui ont accepté de respecter ses lois. Le « droitdelhommisme » est une trahison des Droits de l’Homme.

Il faut être prêt à riposter

Il n’est évidemment pas question de faire l’apologie d’une quelconque violence débridée de la part de l’État ou des forces de l’ordre. Celle-ci serait d’ailleurs aussi inutile qu’illégitime. Les véritables bavures, car il y en a, doivent être suivies de sanctions implacables. Mais il est indispensable et urgent de rappeler qu’il existe une différence fondamentale entre l’usage de la violence et l’emploi de la force. Ce n’est en rien révolutionnaire : au cœur de toutes les doctrines efficaces de maintien ou de rétablissement de l’ordre, il y a l’idée que la force maîtrisée est le meilleur moyen d’éviter l’escalade de la violence.

Les casseurs sont déterminés et organisés. Ils ont leurs appuis idéologiques, leur soutien médical, leurs conseillers juridiques, leurs spécialistes médias qui filment chaque incident. Ils sont prêts à blesser, peut-être même à tuer. Contre eux, il est impossible de « protéger les personnes et les biens » si l’on n’est pas prêt à riposter. Qu’on le veuille ou non, la violence de certains au détriment de tous ne pourra être contenue que par la force.

Après le 16 mars, le véritable enjeu est double et nous concerne tous.

Il relève d’abord du discernement : il faut distinguer les manifestants, fussent-ils en colère, des blacks blocs et associés. Ce qu’il est nécessaire de faire contre des extrémistes désireux d’abattre l’État, il serait inacceptable de le faire contre des citoyens qui ne font que ce qu’ils croient devoir faire pour obliger l’État à les écouter enfin. Les forces de l’ordre s’astreignent au quotidien à cette distinction. Le gouvernement, les médias, les intellectuels, l’opinion publique ont le devoir de faire de même.

Il relève enfin de l’acceptabilité sociale et médiatique de l’emploi de la force. Les citoyens doivent prendre conscience d’une chose simple : CRS et gendarmes mobiles ne pourront pas contenir les casseurs uniquement avec leurs boucliers. Il faut aussi, culturellement, leur rendre leurs matraques.



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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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