UN SIÈCLE AVANT LA RÉVOLUTION FRANÇAISE, CE PHILOSOPHE ANGLAIS SE FAIT LE DÉFENSEUR ACHARNÉ DE LA LIBERTÉ POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE. PRÉCURSEUR DE L’IDÉAL DES LUMIÈRES, IL PRÔNE LA SÉPARATION DES POUVOIRS ET LA NEUTRALITÉ DE L’ÉTAT.

SA VIE

Issu d’une famille de petits propriétaires puritains de la région de Bristol, Locke fait sa scolarité au Christ Church College d’Oxford, où il étudie la médecine, avant d’y enseigner successivement le grec, la rhétorique et la philosophie. C’est toutefois en tant que médecin qu’il est engagé par l’un des hommes politiques les plus influents du moment, lord Ashley, futur comte de Shaftesbury et chef de file du parti whig, opposé à la monarchie absolue. Il en devient le secrétaire puis l’homme de confiance et le suit en exil en Hollande durant le règne de Jacques II, le cousin de Louis XIV et dernier roi catholique de Grande-Bretagne. Le retour en grâce survient six ans plus tard avec la Glorieuse Révolution de 1688, qui rétablit la monarchie parlementaire en Angleterre. Locke acquiert alors le statut de penseur respecté et écouté, à qui le nouveau souverain Guillaume III d’Orange offre même un poste d’ambassadeur. Refus poli du philosophe, qui préfère se consacrer à ses fonctions administratives (notamment au Conseil pour le commerce et les plantations). Ami intime de Newton, qui lui confie ses angoisses relatives à sa santé mentale, Locke s’enferme dans une existence austère et solitaire, centrée sur ses réflexions. C’est dans l’Essex, dans la propriété d’un de ses amis où il aura passé les quinze dernières années de sa vie, qu’il s’éteint le 28 octobre 1704.

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SES THÉORIES

Très cohérente, la pensée de Locke repose sur un principe simple : la défense de la liberté. En politique, il est le premier à prôner la séparation des pouvoirs pour assurer une réelle démocratie. Dans son «Traité du gouvernement civil» (1690), il prend position contre l’absolutisme de droit divin et pour la protection des droits individuels. A contre-courant de son temps, il ose affirmer que la religion est une affaire privée, que le pouvoir n’a pas à s’en mêler et que la liberté de culte doit être complète («Lettre sur la tolérance », 1689). Opposant farouche à l’arbitraire, Locke soutient logiquement les mêmes thèses en économie.

A ses yeux, le droit à la propriété est un droit fondamental, lié à la nature intrinsèque de l’être humain, au même titre que la vie ou la liberté. Si, au départ, la terre appartient aux hommes de façon égale – elle leur a été donnée par Dieu –, ceux-ci se l’approprient en y apportant la valeur ajoutée de leurs efforts. Locke pose ainsi les bases des futures théories de la «valeur travail» développées par Adam Smith ou David Ricardo. Il émet tout de même deux réserves : pour être acceptable et accepté, ce droit à la propriété ne doit pas priver les autres des biens nécessaires à leur survie, ni donner lieu à du gaspillage.

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Disposer à sa guise du fruit de son travail est une chose. Mais qui en garantit la jouissance paisible ? C’est le rôle du pouvoir exécutif, seul habilité à recourir à la force, estime le philosophe. A condition, bien sûr, qu’il n’outrepasse pas ses prérogatives et se soumette au pouvoir législatif, dont les dépositaires, réunis en assemblée, ont été élus par le peuple à la majorité des voix. Dans l’approche lockéenne du «contrat social», l’Etat n’exerce qu’un rôle de gendarme : il n’est pas censé interférer dans les affaires commerciales.

Cette vision, qui passerait aujourd’hui pour ultralibérale, Locke l’élargit au champ de la monnaie, dont il fait le pivot de sa réflexion économique. Dans l’Angleterre du XVII e siècle, de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer à l’Etat d’abaisser le taux d’intérêt maximal pour les prêts de 6 à 4%. L’idée est de rendre les emprunts moins chers pour favoriser l’investissement et stimuler l’activité économique. Mais Locke et les libéraux s’opposent fermement à cette intervention de l’Etat. Leur argumentation est triple. Primo, un taux d’intérêt trop bas ne compense pas les risques encourus par le prêteur qui, du coup, va préférer garder son argent plutôt que l’injecter dans l’économie. Secundo, cette baisse va pousser les investisseurs étrangers à retirer les fonds qu’ils ont placés en Angleterre. Tertio, elle lèse les veuves et les orphelins, qui vivent de leur rente, alors que les banquiers trouveront, eux, des astuces pour contourner la loi. Comme il paraît impensable de réglementer le loyer des maisons ou des bateaux, il semble impossible à Locke de fixer arbitrairement le taux d’intérêt, qui n’est que le loyer de l’argent. D’après lui, il existe un taux naturel qui s’impose à l’Etat. Ce taux peut baisser, mais seulement si la quantité de monnaie en circulation augmente. Comment ? Il suffit d’encourager les exportations, affirme le penseur : plus l’excédent commercial du pays est élevé, plus le volume de pièces d’or ou d’argent qui servent à régler les marchandises anglaises augmente. Dans ses «Considérations sur les conséquences de la diminution de l’intérêt et de l’augmentation de la valeur de l’argent» (1691), Locke établit ainsi la toute première théorie quantitative de la monnaie.

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SON ACTUALITÉ

Certains auteurs du XX e siècle, comme Friedrich Hayek, ont vu en Locke le père fondateur du libéralisme intégral, du fait de sa dénonciation sans équivoque de l’interventionnisme étatique. C’est aller un peu vite, car si Locke conçoit qu’on puisse accumuler sans limites, il précise aussi que la richesse ne doit pas être soustraite à l’économie, car elle devient alors moralement condamnable. Les dérives de la spéculation – l’argent va uniquement à l’argent – constatées ces dernières années en sont l’illustration parfaite. Une société de gestion «alternative» de portefeuille s’est baptisée en 2001 «John Locke Investments». Pas sûr que l’intéressé aurait apprécié…

Ses réflexions sont à l'origine des banques centrales

Locke a piloté la création de la Banque d’Angleterre en 1694. Ses missions ? Emettre de la monnaie et – c’est nouveau – payer les effets de commerce remis par des tiers. Un rôle de «prêteur en dernier ressort» qui caractérise les banques centrales actuelles.

Seuls 6 français sur 10 habitent dans leurs murs

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Parts de propriétaires (avec ou sans prêts en cours). Eurostat, 2010.

En 2007, Nicolas Sarkozy rêvait de faire de la France un pays de propriétaires. On en est loin. Les chiffres publiés en 2010 par Eurostat, le bureau statistique de la Commission européenne montrent que, si 62% des Français possèdent leur résidence principale, la moyenne dans les 27 Etats de l’Union européenne atteint, elle, 71%. Les «vrais» propriétaires, sans prêt en cours ni hypothèque, sont encore plus rares : un Français sur trois.

Julie Noesser

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Retrouvez cet article dans notre hors-série Comprendre l'économie avec ses 30 plus grands génies