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La démocratie directe : entre histoire et avenir

Introduction (2)
Direct Democracy: Between Past and Future. Introduction (2)
Marie-Élisabeth Baudoin

Résumés

Ce propos introductif met en perspective les enjeux et les défis de la démocratie directe en Europe et outre-Atlantique. En effet, la comparaison des différentes expériences européennes et nord-américaines permet de comprendre dans quel contexte et à quelles fins les instruments de démocratie semi-directe ont été utilisés. Il en ressort que chaque expérience est ancrée dans une histoire nationale bien précise. Dès lors, les juristes peuvent tirer des leçons du passé pour penser et adapter les mécanismes de la démocratie de demain.

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Texte intégral

  • 1 On a d’ailleurs cherché à lui trouver des alternatives qui ont pris les appellations diverses de «  (...)
  • 2 Pierre Rosanvallon, La légitimité démocratique, Paris, Le Seuil, 2008, p. 348 et suiv.

1Telle la chronique de Gabriel Garcia Márquez, la mort de la démocratie représentative est depuis longtemps annoncée1. Dans le contexte d’un XXIe siècle marqué par le désenchantement du peuple, le projet démocratique connaîtrait une mutation profonde, en faisant l’objet d’une forme de dédoublement. Ainsi que le démontre Pierre Rosanvallon, aux côtés de la démocratie d’identification s’esquisserait la figure d’une démocratie d’appropriation fonctionnant selon des ressorts fort différents2. Si la première correspond au moment électoral, par nature bref et intermittent, et caractérise la relation entre le candidat et l’électeur, mettant en jeu une appartenance différentielle, la seconde a vocation à caractériser la relation entre le gouvernant et les gouvernés et partant, à s’inscrire dans la durée, tout en permettant l’inclusion de tous. Mais comment réaliser cette inclusion des citoyens ? Comment favoriser la participation des individus à la réalisation de l’intérêt général ? Alors que Pierre Rosanvallon évoque, entre autres hypothèses, l’expression de la défiance sociale, via un ensemble de pratiques de surveillance, d’empêchement et de jugement, pourquoi ne pas ajouter le recours à l’initiative populaire ?

2La démocratie directe – héritée de l’idéal grec antique – ou plutôt certains de ses instruments ne pourraient-ils pas, de manière paradoxale, redonner vie au projet démocratique ? Explorer cette piste, tel est l’enjeu de ce dossier réunissant, dans l’échange, universitaires américains et français et permettant la confrontation des analyses d’historiens et de juristes.

  • 3 La loi d’initiative populaire, le référendum d’initiative populaire et la révision constitutionnell (...)

3Ces regards croisés permettent, tout d’abord, de dresser la toile de fond de la démocratie directe aux États-Unis et en Europe. Ils donnent ainsi à voir la diversité des solutions retenues. Parmi les « bons élèves », c’est-à-dire parmi les États recourant aux instruments de démocratie directe, se classent en premier lieu la Suisse et les États-Unis. En effet, la Suisse, qualifiée de « démocratie témoin » en 1948 par André Siegfried, pratique la participation directe des citoyens depuis la première moitié du XIXe siècle aussi bien au niveau fédéral que local (D. Giraux). Aux États-Unis, ce sont les États fédérés, et plus particulièrement ceux de l’Ouest, qui se sont dotés des mécanismes de l’initiative, du référendum et du recall à partir de 1898 (G. Gendzel). Au XXe siècle, ils ont ensuite été rejoints par l’Italie qui connaît trois formes de démocratie directe : l’initiative des lois consacrée à l’article 71 de la Constitution de 1947, le référendum constitutionnel consultatif et surtout le référendum législatif abrogatif de l’article 75 (F. Laffaille). D’autres États pourraient ensuite être ajoutés à cette liste des premiers de la classe : l’Allemagne – où la démocratie directe a été introduite, à partir de la réunification en 1991, au niveau des Länder et au niveau communal – ou encore les États d’Europe centrale et orientale tels que la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Slovénie dont les Constitutions adoptées dans le contexte de la transition démocratique ont également consacré trois procédures de démocratie directe3.

4À l’inverse, la France fait pâle figure : si la Constitution de l’an I (dite Constitution montagnarde de 1793) dota le peuple d’un droit d’initiative et d’un droit de veto populaire, elle ne fut cependant jamais appliquée. Quant à la Ve République, en dépit de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 qui introduit un référendum décisionnel au niveau local, elle n’a pas non plus vu l’avènement d’une véritable démocratie directe locale (C.-A. Dubreuil). Enfin, l’Union européenne a fait un pas dans le sens de la participation des citoyens à la prise de décision avec l’introduction dans le Traité de Lisbonne de l’initiative citoyenne, mais ce mécanisme, entré en vigueur seulement le 1er avril 2012, se heurte à des obstacles tels qu’il reste un instrument plus théorique que réel (C. Bertrand).

5Ces regards croisés permettent, ensuite, de comprendre à quelles fins les outils de démocratie semi-directe sont mobilisés et quels usages il en est fait. Peut-on faire de la votation populaire un outil de gouvernement ? N’y a-t-il pas un risque de division de la société en deux, sur des sujets notamment sensibles, ou encore un risque d’instrumentalisation de la part des acteurs politiques ? La comparaison des différentes expériences de part et d’autre de l’Atlantique est riche d’enseignements. Au-delà de la diversité des réponses, elle conduit finalement à soulever la question fondamentale de la signification même que l’on veut donner à la démocratie directe ou semi-directe.

6Les modèles suisse, américain ou italien sont-ils, d’une part, exportables ? et d’autre part, doivent-ils être exportés ? Pour répondre à ces questions – et les différentes contributions de ce volume le démontrent parfaitement – il convient, tout d’abord, de prendre conscience de l’ancrage historique des solutions adoptées par les différents États et, ensuite, de tirer les leçons de l’histoire pour adapter les mécanismes juridiques.

La démocratie directe est née d’un certain contexte historique

7La méthode comparative permet de mettre en lumière le contexte historique dans lequel les expériences de démocratie directe ou semi-directe se sont épanouies ou à l’inverse étiolées.

  • 4 Du contrat social, livre 4, chapitre 1er « Que la volonté générale est indestructible », Paris, Gal (...)

8Il n’est pas anodin de constater que la Suisse a mis en place les premiers instruments de la démocratie directe dès le XIXe siècle. N’est-ce pas en effet Jean-Jacques Rousseau qui est à l’origine de la théorie de la souveraineté populaire et un fervent partisan de la démocratie directe ? On peut même lire sous la plume de celui qui aimait à s’appeler le « citoyen de Genève » : « Quand on voit chez le plus heureux peuple du monde des troupes de paysans régler les affaires de l’État sous un chêne et se conduire toujours sagement, peut-on s’empêcher de mépriser les raffinements des autres nations, qui se rendent illustres et méprisables avec tant d’art et de mystères4 ? » Dans cet extrait, Rousseau fait allusion aux communautés rurales de la Suisse – aux Landsgemeinden – qui constituent pour lui l’État idéal. En plus d’une organisation communale remontant au Moyen Âge, la philosophie des Lumières a influencé les Suisses dans leur recherche d’instruments permettant de perfectionner la démocratie indirecte. C’est ainsi que les droits populaires ont été consacrés, en commençant par le droit de veto dès 1831, dans le canton de Saint-Gall.

9Aux États-Unis, et plus précisément en Californie, les mécanismes de démocratie directe ont été introduits dans la Constitution de 1911 dans un contexte historique bien différent. C’est afin de pouvoir lutter contre la « Pieuvre », c’est-à-dire la Compagnie des Chemins de fer du Pacifique sud, ainsi que le montre brillamment l’article de G. Gendzel, que l’initiative populaire, le référendum et la révocation des représentants sont créés. Les réformateurs progressistes pensent alors pouvoir lutter de manière efficace contre la mainmise sur le gouvernement des puissances économiques. Originellement, l’initiative populaire s’enracine dans la volonté de protéger l’État.

10À l’opposé, l’histoire constitutionnelle française est celle d’une hostilité aux instruments de démocratie directe. Alors que les plébiscites napoléoniens sont restés dans les mémoires, symbolisant un régime de césarisme démocratique, la conception gaullienne du pouvoir conduit à pérenniser un référendum-plébiscite en faveur du chef de l’État. C’est ce spectre du plébiscite qui explique en grande partie la réticence du constituant français à introduire en 2008 un véritable référendum d’initiative populaire au niveau national. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 ne met en place qu’un référendum d’initiative partagée qui a par ailleurs fort peu de chances d’aboutir. En effet, la proposition de loi doit être déposée par un cinquième des parlementaires et soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales… soit 4,5 millions de personnes.

11La démarche historique permet ainsi de comprendre la signification politique et sociale que les instruments de démocratie directe ont revêtue au XIXe ou au XXe siècle. Il revient au juriste de tirer les enseignements du passé pour adapter les instruments juridiques à la démocratie du XXIe siècle.

Les leçons à tirer de l’histoire pour penser la démocratie directe moderne

12La comparaison des expériences américaines et européennes fait apparaître les risques inhérents aux instruments référendaires et conduit à s’interroger sur le contenu que l’on veut donner à la démocratie. Vue par les trois universitaires américains, la démocratie directe engendre plus de maux qu’elle n’apporte de solutions. D’un outil progressiste, l’initiative populaire s’est transformée dans les années 1970 en un instrument aux mains des nantis, la proposition n° 13 de 1978 représentant en cela un véritable tournant, selon Glen Gendzel. La contribution de Robert Cherny souligne les dangers que représentent les mécanismes de la révocation qui conduisent à une véritable paralysie des représentants voire à une confiscation du pouvoir. William Issel montre, quant à lui, l’utilisation instrumentalisée qui est faite par les différents camps politiques lorsque sont en jeu des questions sociétales sensibles, telles que le mariage homosexuel. Ces mises en garde résonnent d’un écho tout particulier en France, à l’heure où certains réclament un référendum afin de désavouer le gouvernement et son projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe. Le référendum peut, certes, être un instrument d’expression du peuple mais il peut aussi parfois devenir un instrument de division de la société, voire de stigmatisation d’un groupe. Enfin, – et c’est l’expérience italienne du référendum abrogatif qui en atteste –, le référendum peut se transformer en une « stratégie de contournement de la volonté des élus du peuple », selon Franck Laffaille. C’est alors la légitimité même du Parlement qui est en jeu et la nature du régime qui peut être remise en cause.

13Les dérives que peut entraîner le recours au référendum ou à la révocation par le peuple de ses représentants amènent dès lors à penser des garde-fous. Une première solution peut résider dans l’encadrement par le juge et le contrôle de la régularité des procédures voire de la constitutionnalité des projets de référendum – qu’il s’agisse de la Cour Suprême aux États-Unis ou des Cours constitutionnelles dans les États européens. Mais pour que ce contrôle soit reconnu comme légitime, il ne saurait relever d’une auto-habilitation, il doit être institué. Une autre solution conduit à penser les instruments de démocratie directe dans un « projet global » de société. Quelle signification veut-on donner à la démocratie directe : ne traduit-elle qu’une défiance vis-à-vis du principe représentatif, un désaveu du travail des représentants ? Ou bien veut-on la penser comme un complément souhaitable ? In fine, la question qui se pose est celle de l’exercice de la démocratie. L’expérience au niveau supranational – celle de l’Union européenne avec l’instauration de l’initiative citoyenne – peut, semble-t-il, apporter ici sa pierre à la réflexion. Même si le mécanisme n’en est qu’à ses balbutiements et même si la compétence n’est que propositionnelle, l’initiative citoyenne traduit un début de participation des citoyens dans un contexte où la Commission européenne peut bloquer le processus de production des normes, par son monopole de l’initiative législative. Finalement, la démocratie n’implique-t-elle pas une certaine dose de concurrence dans l’exercice de la rédaction et de l’adoption des lois ? En organisant la concurrence entre les différents groupes sociaux pour la confection des lois, la démocratie directe n’est-elle pas un gage de meilleure qualité de la loi ?

  • 5 Slobodan Milacic, « La démocratie représentative devant un défi historique ? Propos introductif », (...)
  • 6 Selon S. Milacic, le procédé référendaire comprime le souci pluraliste et met en jeu une logique pl (...)

14La démocratie représentative se trouve souvent bien mise à mal dans les discours. Concurrencée par la « démocratie d’opinion », doublée par la « démocratie participative », elle ne résisterait pas à l’épreuve de la « post-modernité ». Pourtant, ainsi que le souligne Slobodan Milacic, « la démocratie reste, encore, aujourd’hui, une cause politique, systémique voire civilisationnelle sans alternative légitime5 ». De fait, le référendum ne saurait se superposer, ni se substituer d’ailleurs à l’élection qui seule peut préserver la logique pluraliste6. Il n’en demeure pas moins que pour s’adapter à un cadre étatique qui connaît de profondes mutations, la démocratie représentative gagnerait à cohabiter avec une participation accrue des citoyens à la prise de décision.

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Notes

1 On a d’ailleurs cherché à lui trouver des alternatives qui ont pris les appellations diverses de « démocratie participative » ou encore « démocratie d’opinion ». Alors même, comme l’explique très bien Bernard Lacroix, que ce n’est pas tant la démocratie représentative elle-même qui est en crise que l’image officielle que veulent bien en donner les hommes politiques et les journalistes. Cf. Bernard Lacroix, dans Dominique Rousseau (dir.), La démocratie continue, Paris, LGDJ / Montchrestien, 1998.

2 Pierre Rosanvallon, La légitimité démocratique, Paris, Le Seuil, 2008, p. 348 et suiv.

3 La loi d’initiative populaire, le référendum d’initiative populaire et la révision constitutionnelle d’initiative populaire.

4 Du contrat social, livre 4, chapitre 1er « Que la volonté générale est indestructible », Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1965, p. 437.

5 Slobodan Milacic, « La démocratie représentative devant un défi historique ? Propos introductif », dans Rafaâ Ben Achour, Jean Gicquel, S. Milacic, La démocratie représentative devant un défi historique, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 37.

6 Selon S. Milacic, le procédé référendaire comprime le souci pluraliste et met en jeu une logique plutôt moniste, en obligeant les protagonistes à se ranger dans le camp du « oui » ou du « non ». Ibid., p. 13.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Élisabeth Baudoin, « La démocratie directe : entre histoire et avenir »Siècles [En ligne], 37 | 2013, mis en ligne le 21 octobre 2013, consulté le 27 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/siecles/1099 ; DOI : https://doi.org/10.4000/siecles.1099

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Auteur

Marie-Élisabeth Baudoin

Maître de conférences en Droit public
CMH, Centre de Recherches Michel-de-l’Hospital, Clermont université, Université d’Auvergne/Clermont I

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