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Ce que cachent les flamboyants chiffres du chômage aux États-Unis

Après un pic à 10% en 2009, le chômage n'a quasiment pas cessé de diminuer aux États-Unis.

Après un pic à 10% en 2009, le chômage n'a quasiment pas cessé de diminuer aux États-Unis. - JEFF KOWALSKY / AFP

Le taux de chômage a atteint 3,5% en novembre. Son plus bas historique depuis un demi-siècle. Mais cette situation est trompeuse. En réalité, beaucoup d'Américains ont renoncé à chercher du travail, soit pour des raisons de santé, soit à cause d'une politique familiale insuffisante.

Le chiffre a de quoi faire rêver en France. Au mois de novembre, le taux de chômage a de nouveau baissé aux États-Unis pour tomber à 3,5%. Son plus bas historique depuis près d'un demi-siècle. Une aubaine pour Donald Trump ne s'est pas privé de le rappeler sur son réseau social préféré: Twitter. Le président américain cueille les lauriers de ces bons résultats, alors que sa cote de popularité était déjà en hausse quelques jours avant la publication de ces chiffres.

Rendons tout de même à César ce qui est à César. Le taux de chômage n'a pas commencé à baisser sous la mandature de Donald Trump. Après un pic à 10% au lendemain de la crise en octobre 2009, il n'a cessé de décroître depuis 2011 avec une accélération de cette tendance entre 2012 et 2015, où il a tout de même baissé de près de 3 points en seulement quatre ans.

"La reprise économique la plus faible et la plus longue"

Ces résultats exceptionnels s'expliquent par la situation exceptionnelle que vit la première puissance mondiale. Les États-Unis connaissent actuellement "la reprise économique la plus faible et la plus longue de toutes les reprises de leur histoire", analyse pour BFM Éco Anton Brender, professeur associé à Paris-Dauphine et chef économiste de Candriam. Avec un taux de croissance régulièrement supérieur à 2%, l'économie américaine s'est transformée en machine à emplois, avec 200.000 créations nettes par mois en moyenne depuis 2012.

On peut reconnaître à Donald Trump de ne pas avoir enrayé ce processus et même de l'avoir entretenu. Les baisses massives d'impôts qu'il a fait voter fin 2017, ont certes creusé le déficit et la dette, mais ont aussi boosté la croissance à 2,9% l'année passée, donnant un nouveau coup de fouet à des créations d'emplois déjà dynamiques. La plupart des économistes s'attendent à ce que les effets de cette réforme se fassent encore sentir cette année, avant de se dissiper en 2020.

La population active est faible aux États-Unis

Ces belles performances, masquent toutefois une situation moins flamboyante. Rappelons que le taux de chômage est calculé par rapport à la population active, qui regroupe les personnes ayant un emploi et celles qui en recherchent un activement. Or, si on ne se rapporte plus à la population active mais à la population en générale, il y a plus de personnes en emploi en France qu'aux États-Unis. En effet, sur l'ensemble des personnes âgées de 25 à 54 ans*, 80,8% ont un emploi en France contre 79,7% aux États-Unis au quatrième trimestre 2018, selon l'OCDE.

Ce paradoxe s'explique tout simplement parce que la population active aux États-Unis est relativement plus faible qu'ailleurs. Auparavant proche de celle du Japon, elle s'est continuellement réduite entre 2008 et 2015. Elle est même passée sous la moyenne de l'OCDE pour les 25-54 ans depuis 2012, ce qui explique en partie pourquoi la baisse du chômage s'est accélérée dans les années qui ont suivi. En effet, si les créations d'emplois augmentent d'un côté et que la population active se réduit de l'autre, mécaniquement le taux de chômage chute. 

Pourquoi des Américains renoncent à trouver du travail?

Si la population active diminue, cela signifie que de plus en plus d'Américains renoncent à chercher un emploi. Pourquoi? Une étude du think tank américain Brookings Institution publiée en mai 2017 avance plusieurs raisons, différentes selon les sexes. 

Pour les hommes inactifs âgés de 25 à 54 ans, plus de la moitié (56%) se déclarent malades ou invalides, selon les données du Bureau américain des statistiques du travail. Cette raison est de loin la plus mentionnée par les personnes interrogées. Une autre étude recense que la moitié de cette population prend quotidiennement des médicaments contre la douleur. Pour mémoire, les États-Unis traversent depuis plusieurs années une crise sanitaire due à des prises excessives d'opiacés, des substances, légales ou non, de même origine que la morphine.

Entre 1999 et 2017, près de 400.000 Américains (hommes et femmes) sont décédés des suites d'une overdose impliquant une de ces substances. Pour les chercheurs de la Brookings Institution, il est difficile de déterminer qui est l'œuf ou la poule entre: est-ce que leur situation économique les a poussés à prendre des opiacés, ou est-ce que c'est parce qu'ils prennent des opiacés qu'ils sont dans cette situation?

Les auteurs évoquent aussi le nombre important d'hommes faisant ou ayant fait de la prison, pointant que le taux d'incarcération aux États-Unis est cinq fois supérieur à la moyenne de l'OCDE. Les hommes les moins diplômés et les Afro-américains sont les plus touchés.

Pour les femmes inactives âgées de 25 à 54 ans, 60% disent avoir renoncé à chercher du travail pour s'occuper de leur maison et de leur famille. Les chercheurs pointent la persistance des "rôles traditionnels" dans le couple et "le manque de politiques publiques en faveur des familles".

"Beaucoup de gens sortis de la population active sont revenus"

Ne nous méprenons pas. Un faible taux de chômage est une bonne chose, notamment parce que cela signifie que ceux qui cherchent du travail ont une forte probabilité d'en trouver, mais aussi parce que la concurrence force les employeurs à augmenter les rémunérations pour attirer des travailleurs. Aux États-Unis, les salaires ont récemment atteint leur plus haut niveau depuis 10 ans.

L'autre vertu est que l'amélioration de l'emploi incite une partie de ceux qui avaient renoncé se remettent à chercher activement. C'est pourquoi la population active augmente à nouveau depuis 2015. Là est toute la stratégie économique américaine depuis une décennie. La banque centrale, la Fed, a mis l'économie sous perfusion monétaire pour stimuler les embauches. Cette faible et longue période de croissance a finalement été rendue possible par "le retour de chômeurs à l’emploi et par un phénomène original qui est que beaucoup de gens sortis de la population active sont revenus", observe Anton Brender.

La guerre commerciale: un risque pour la croissance

Mais cette stratégie a ses limites. Les candidats commencent à manquer et les employeurs font tout pour faciliter les recrutements. Certains ont moins recours aux tests d'opiacés, quand d'autres, comme la banque JPMorgan, appellent à réduire les contraintes pour les recrutements d'ex-prisonniers. Ces initiatives montrent que le réservoir de main-d'œuvre commence à se tarir. Selon les estimations du chef économiste de Candriam, la population américaine pourra encore répondre aux besoins des entreprises jusqu'à fin 2020.

Lors que les États-Unis seront arrivés au plein emploi, le seul moyen de maintenir la croissance sera de faire en sorte que chaque travailleur produise plus. Autrement dit, la hausse de la productivité devra prendre le relais. "La bonne nouvelle est qu'on observe récemment une légère accélération des gains de productivité", note Anton Brender. Mais selon l'économiste, Donald Trump pourrait freiner cette dynamique à cause de la guerre commerciale. "L'incertitude qu'il crée est la meilleure façon de freiner l'investissement", nécessaire pour stimuler la productivité.

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*Nous avons délibérément choisi de ne pas prendre en compte les plus de 55 ans car les Français sont à la retraite beaucoup plus tôt que les Américains. Les premiers partent en moyenne à 60,5 ans contre 67,6 ans pour les seconds, selon l'OCDE. Ainsi, la part des seniors en emploi est mécaniquement plus faible en France qu'aux États-Unis, ce qui biaise la comparaison.

Jean-Christophe Catalon