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Certains passages du livre écrit par Emmanuel Macron en 2016 résistent difficilement à la réalité, alors qu'il se lance dans sa deuxième élection présidentielle.
Certains passages du livre écrit par Emmanuel Macron en 2016 résistent difficilement à la réalité, alors qu'il se lance dans sa deuxième élection présidentielle.
Ludovic Marin / AFP

Présidentielle : 5 ans après, on a relu le livre du candidat Macron… et ses contradictions

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Russie, hôpital, retraites, proportionnelle, dette… Certains passages de « Révolution », le livre-programme qu’Emmanuel Macron avait publié en 2016, lui reviennent aujourd’hui en boomerang.

« Nous devons travailler avec les Russes pour stabiliser leur relation avec l’Ukraine et permettre que soient levées progressivement les sanctions de part et d’autre. » C’est une phrase que l’on peut lire dans l’un des derniers chapitres de Révolution, le livre qu’Emmanuel Macron avait publié en novembre 2016, au moment de déclarer sa première candidature à l’élection présidentielle. Une phrase qui prouve que le Macron de l’époque avait identifié le dossier ukrainien. Mais qui, cinq ans plus tard, résonne cruellement avec la réalité de la guerre déclenchée par Vladimir Poutine.

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Alors qu’Emmanuel Macron a officialisé sa candidature à sa réélection, relire aujourd'hui Révolution est un exercice révélateur. Son contenu souligne, a posteriori, ce que le chef de l’État avait décelé et ce qui lui a échappé. Les promesses qu'il a tenues et celles qu'il n'a pas tenues. Avec le recul, certains passages apparaissent justes, d’autres en complet décalage avec la réalité de son quinquennat.

« Refonder notre relation avec la Russie »

Macron prenait ainsi le soin de s'attarder sur le dossier russe, dessinant une ligne d'équilibre. « Il nous faut refonder notre relation avec la Russie », écrivait-il en plaidant pour « un dialogue intense et franc ». « Avec les Russes, nous partageons un continent, une histoire, une littérature même. (…) En même temps, la vision russe ne correspond pas totalement à la nôtre. À nous d’en tenir compte. Mais nous commettrions une erreur en coupant les ponts avec cette puissance d’Europe orientale plutôt qu’en nouant une relation de long terme. » De fait, même en pleine guerre, le chef de l’État a encore assuré dans son allocution, mercredi 2 mars, qu’il comptait rester en contact avec Poutine.

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Au-delà de l’actualité, la relecture de Révolution permet de se remémorer le projet que proposait le candidat Macron. Le livre apparaît, dans certains passages, comme le cimetière des promesses enterrées. « Les différents régimes doivent être rapprochés en quelques années afin de construire progressivement un régime universel de retraite », prônait ainsi Macron, alors que le Covid a eu raison de sa réforme déjà mal emmanchée. « Nous devons ouvrir les droits à l’assurance chômage aux démissionnaires », clamait-il aussi, une promesse tellement rabotée qu’elle ne concerne finalement que très peu de personnes.

L'« évidence » de la proportionnelle

On l’a oublié, mais le candidat marcheur souhaitait également mettre en place le chèque syndical, un dispositif qui permettrait aux salariés d’orienter des ressources de l’entreprise vers le syndicat de leur choix. Une mesure enterrée dès le début du quinquennat, face à la fronde des syndicats eux-mêmes.

Côté institutions, « introduire davantage de proportionnelle, sans nuire à l’efficacité de notre système démocratique, est d’évidence une solution », soulignait Macron, une promesse là encore avortée . Même tarif quand il défendait un exécutif avec « peu de ministres et des périmètres stables » : le gouvernement Castex compte aujourd’hui 30 ministres (un record sous la Ve République) et 12 secrétaires d’État…

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Il y a aussi les mesures mises en œuvre… alors qu’Emmanuel Macron s’y opposait à l’époque ! Ainsi de cette phrase rétrospectivement savoureuse : « Je n’ai jamais plaidé pour la suppression de l’ENA. » Le président vient pourtant d’enterrer l’école de la haute fonction publique , ou en tout cas son nom, puisqu’elle s’appelle désormais Institut national du service public (INSP). En revanche, le candidat Macron avait bel et bien annoncé la couleur sur la suppression des grands corps de l’État , en pointant « des hauts fonctionnaires trop protégés alors que le reste du monde vit dans le changement ».

Des échos aux gilets jaunes

Si Emmanuel Macron a finalement supprimé l’ENA, c’était pour répondre aux gilets jaunes . Le paradoxe, c’est qu’il avait semblé identifier, à l’époque, certaines causes profondes de ce qui allait devenir le premier grand choc de son quinquennat, allant jusqu’à intituler un chapitre « Pouvoir vivre de son travail ». « Nous devrons défendre le niveau de vie des actifs. Cela dépasse la question du pouvoir d’achat. C’est une affaire de dignité et de considération », affirmait-il. Précisément le cœur du reproche des gilets jaunes, qui n’ont vu que mépris dans l’attitude de ce président dont les premières mesures fiscales ont surtout ravi les plus riches. « Qui peut sérieusement croire qu’il est optimal de tout régenter depuis Paris ? », s’indignait également le candidat Macron, alors que les gilets jaunes ont ressenti la hausse de la taxe carbone comme une mesure imposée par un pouvoir centralisé. Un reproche également formulé par nombre d’élus locaux pendant tout le quinquennat.

L’autre grand bouleversement de ce mandat a été l’épidémie de Covid-19. À lire Révolution, Emmanuel Macron n’avait pas anticipé cette possibilité. « Des risques nouveaux sont apparus, eux aussi mondiaux, dont nous avons désormais la pleine conscience », écrivait-il pourtant. Mais s’il soulignait les risques environnementaux, géopolitiques ou terroristes, il ne disait pas un mot d’un possible danger sanitaire.

« Nécessaire refondation de l'hôpital public »

La santé est pourtant un environnement familier à Emmanuel Macron, dont les deux parents, le frère et la sœur sont médecins. Au début du livre, il se souvient d’ailleurs des « discussions médicales » avec ses parents « où, durant des heures, la vie de l’hôpital, l’évolution des pratiques et des recherches, faisaient l’objet de polémiques incessantes ». En matière de santé, le candidat se voulait ambitieux. Il insistait ainsi sur « la nécessaire refondation de l’hôpital public. Depuis plusieurs années, il traverse une crise de moyens, de productivité et de sens à laquelle nous ne pouvons rester sourds. » Après deux ans d’épidémie qui ont laissé les soignants à bout, le passage résonne douloureusement…

Les opposants au passe sanitaire puis vaccinal pourront, eux, reprendre à leur compte une phrase dénichée dans un autre chapitre, dans lequel Macron détaille sa philosophie générale : « Les libertés du citoyen ne doivent pas être sacrifiées à un impératif de sécurité absolue et inatteignable ». Quant à la droite, qui dénonce un Macron ayant « cramé la caisse », dixit Valérie Pécresse, elle savourera ces lignes indignées : « Depuis plus de trente ans, droite et gauche ont remplacé la croissance défaillante par de la dette publique. Ils ont octroyé des aides sans les financer et en les gageant sur les générations à venir sans rien régler des déséquilibres profonds. (…) En y consentant, nous avons commis la faute la plus grave : rompre la continuité historique en laissant à nos enfants la charge d’une dette insoutenable, faute d’avoir eu le courage d’affronter la réalité. De cette lâcheté nous sommes tous coupables. Un pays ne peut vivre durablement dans l’inertie et le mensonge. » Cinq ans et un « quoi qu’il en coûte » plus tard , la dette publique est passée de 97 % à 116 % du PIB !

Propositions irritantes sur l'éducation

On lit enfin, dans Révolution, ce qui pourrait servir d’esquisse à un programme de second mandat. Alors que certains conseillers du chef de l’Était annoncent que l’éducation sera un point central de son programme, il faut se replonger dans les conceptions qu’Emmanuel Macron développait il y a cinq ans.

Il plaidait notamment pour revoir le fonctionnement de la carte scolaire, refondre les règles d’affectation des enseignants, mais surtout accorder plus d’autonomie aux établissements, un sujet explosif dans la communauté éducative. À une école située en quartier difficile, il faut « permettre d’essayer ce qui n’a jamais été tenté : attirer les meilleurs enseignants en les payant mieux, augmenter le nombre d’heures d’enseignement », écrivait-il. Et d’ajouter : « L’autonomie des établissements doit être assumée et servir de nouveau modèle pour l’organisation de l’Éducation nationale. » L’an dernier, Emmanuel Macron a d’ailleurs lancé une expérimentation en ce sens dans des écoles de Marseille .

Un travail de « dix ans »

Autre sujet sensible, la quasi-gratuité de l’université. Alors qu’Emmanuel Macron a démenti, en janvier, vouloir augmenter les frais d’inscription à la fac, il proposait pourtant dans son livre de les moduler selon les profils sociaux : « Protéger les étudiants les plus modestes avec une véritable aide sociale, permettre aux universités de faire contribuer les étudiants les plus aisés ».

Le président-candidat reprendra-t-il le fil de ce qu’il dessinait en 2016 ? Une chose est sûre : Emmanuel Macron se projetait bel et bien au pouvoir pour deux mandats. Dans le chapitre 5, en dissertant sur son « rêve d’avoir une nation, non pas de semblables, mais d’égaux en droits », il avertissait : « Ce travail prendra dix ans. » Reste à savoir si la Révolution qu’il défendait demeure valable. Les écrits restent, dit-on, mais peuvent-ils résister aux chocs de la réalité ?

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne