On a beau dire que ce clivage est dépassé, il n'y a rien à faire, voici deux siècles que la politique française se divise en deux pôles: la gauche et la droite. L'Europe et le monde ont adopté le même partage. Avant d'aller voter, il serait bon de savoir répondre à deux questions: d'où vient cette opposition? Quel est son sens profond?
Peut-être connaissez-vous l'histoire: le vendredi 28 août 1789, pendant la Révolution, une Assemblée constituante dut faire un choix crucial. Elle devait écrire la Constitution de ce qui devait être une monarchie constitutionnelle. Fallait-il accorder au Roi un droit de veto pour bloquer les lois qui seraient proposées? Les membres de l'Assemblée votèrent en se déplaçant physiquement. S'ils étaient "pour" ce veto, en faveur du roi, ils devaient se placer à droite du président d'Assemblée. S'ils étaient "contre", pour limiter le pouvoir du roi, ils se plaçaient à gauche. Vous le devinez, le clergé et la noblesse se placèrent majoritairement à droite, et le tiers-état, les serfs, à gauche.
Pourquoi spécialement à gauche et à droite? Ce choix remonte au moins à la Bible, quand David accède au pouvoir. Le texte dit symboliquement qu'il s'assoit à la droite de Dieu. Il en est le bras exécutant. Or Dieu est conçu comme... droitier, comme la plupart des gens!
Cette approche permet de se faire une première idée des valeurs de gauche et de droite. Les serfs révolutionnaires souhaitaient renverser un ordre économique et politique qui leur était défavorable. Ils aspiraient à un avenir "meilleur", ce qui signifiait pour eux plus égalitaire, plus "solidaire". Les nobles et clercs préféraient conserver la hiérarchie traditionnelle, tant politique qu'économique.
Plus généralement, la gauche confère plutôt à l'État le soin d'organiser une répartition des biens plus égalitaire. Elle critique les hiérarchies issues du passé. Elle juge le travail "aliénant", comme source de domination. Elle défend un idéal à réaliser dans un avenir indéterminé, au nom de vastes idées comme la liberté (des mœurs) et la "justice sociale", conçue comme égalité. Au contraire, la droite soutient plutôt le maintien de l'ordre, de l'autorité, de la propriété, des traditions. Elle cherche à conserver les hiérarchies en place. Le travail y apparaît comme une valeur structurante et libératrice. Le critère de la justice est cette fois l'équité. L'État est moins appelé à intervenir sur le plan économique qu'à assurer la sécurité des biens durement acquis, voire contrôler les mœurs. La droite défend une vision plus concrète, qui s'appuie sur le passé réel.
Sur quoi se fondent ces deux perspectives opposées?
Deux philosophes ont proposé des théories pour justifier chaque point de vue politique. Commençons par l'origine philosophique de la droite, qui est apparue plus tôt sur le plan historique.
Hobbes imagine que les hommes tâchent de sortir d'un "état de nature", soumis aux simples lois de la nature (comme la survie). Sans lois, ni gouvernement, police ou armée, nous serions d'après lui dans un perpétuel état de guerre (larvée). Toute production économique risquerait d'être détruite ou volée, ramenant brutalement chacun à une égalité de fait. Nous n'y serions concrètement pas libres, puisque chaque déplacement y serait dangereux. Hobbes y voit un grand malheur. La guerre civile qu'il connaît en Angleterre au XVIIe siècle en est pour lui une illustration.
Pour en sortir, il propose un "pacte social": chacun abandonne ses forces à un représentant, qui devient tout puissant. C'est l'État, qui doit au minimum assurer l'ordre, la sécurité (des hommes et des biens), et donc au mieux la liberté, en particulier économique.
Un siècle après lui, Rousseau reprend cette idée d'état de nature et de pacte social, qu'il renomme "contrat social". Mais il en critique un aspect fondamental: à ses yeux, dans l'état de nature, nous étions au contraire en paix (car l'homme serait fondamentalement bon, guidé par sa sensibilité et sa pitié), libres, seuls (et non en société), sans langage (et sans mensonge), sans propriété, et certes égaux, mais pour notre plus grand bonheur.
La venue de la société est pour Rousseau un grand malheur. Avec elle surgit la comparaison, l'amour propre, la jalousie du prochain, les inégalités, la convoitise, les guerres, etc. Le contrat social et le gouvernement tâchent seulement d'endiguer ces mauvaises conséquences, avec des lois au service de l'intérêt général. Rousseau souhaite mieux. Il imagine un troisième état, à venir, qui verrait un nouveau règne du bonheur, égalitaire, plein d'amour, où chacun suivrait à nouveau la voix de son cœur.
Vous voyez ici se dessiner deux conceptions complètement opposées de l'homme, à l'origine de la droite et de la gauche. Pour Hobbes et la droite, nous devons toujours nous méfier des tendances violentes de l'homme. Nous devons conserver les avancées conquises sur notre mauvaise nature, par la force du travail et la coercition de l'État. Pour Rousseau et la gauche, nous devons éviter d'étouffer la bonne nature de l'homme, avec ces tentations que sont les richesses inégalement réparties. L'État doit rétablir la fraternité et contrôler l'économie.
Qui a raison?
Si l'on suit les spécialistes des comportements animaux (les éthologues), de notre passé préhistorique (les paléoanthropologues) ou de notre psychologie profonde (les psychanalystes), les hommes comportent deux caractéristiques fondamentales: d'un côté, ils sont réellement agressifs, capables comme les chimpanzés de génocides. La droite a raison, la gauche a tort! D'un autre côté, les hommes sont réellement empathiques, emplis d'amour et de pitié les uns pour les autres, comme les bonobos qui font l'amour six fois par jour en moyenne! La gauche a raison, la droite a tort!
Ces données voudraient dire que la gauche comme la droite se trompent à 50 % sur leur conception profonde de la nature humaine. La gauche est trop naïve, elle ne tient pas assez compte de l'agressivité naturelle. La droite est trop méfiante, elle ne tient pas assez compte des tendances sociales naturelles chez l'homme. Sans elles, comment la société fonctionnerait-elle?
Conclusion? Votez comme vous le souhaitez, mais je refuse pour ma part de m'engager pour un parti qui ignore la moitié de la nature humaine!